Si Jean-Pierre Mocky ne s'intéresse
pas au sport, il place régulièrement des publicités pour
ses films dans le journal "L'Équipe". "Les vérifications
me donnaient l'occasion de lire parfois ce quotidien. Ça m'ouvrait de
singuliers horizons. Je me suis mis à m'intéresser au phénomène
qui s'y reflétait : le monde des supporters." Au début
des années 80, il tombe sur un roman de la Série Noire, À
mort l'arbitre (The Death Penalty) dans lequel l'anglais Alfred Draper
s'inspirait d'un authentique fait divers : le meurtre d'un arbitre par
des spectateurs mécontents. Jean-Pierre Mocky
en achète les droits et, comme Jean-Jacques
Annaud avant lui pour Coup de tête, s'immerge dans
le monde du football. "J'ai participé à des tas de matches,
en banlieue et surtout en province. J'ai interrogé des dizaines et des
dizaines de supporters. J'ai assisté à plein d'incidents dont
je me suis servi pour élaborer le scénario final." Lequel,
écrit avec Jacques Dreux, s'intitule alors Tous contre un.
Jean-Pierre Mocky décide
de confier le rôle de Rico, le chef des supporters, à Michel
Serrault qu'il a déjà dirigé dans Les Compagnons
de la marguerite, L'Ibis rouge ou Le Roi des bricoleurs. "J'avais
voulu que la haine que véhiculait ce type lâche et médiocre
passe essentiellement par le regard et un rictus aux lèvres, raconte
l'acteur. J'ai dû réussir mon coup, puisque pour bon nombre de
gens, À mort l'arbitre est le film où je suis le plus terrifiant."
Pour Jean-Pierre Mocky, l'arbitre et sa compagne
(traqués après le match par une horde de forcenés) n'ont
qu'un rôle "un peu secondaire, c'étaient des personnages
prétextes". Leurs interprètes, Eddy
Mitchell et Carole Laure, s'en sont d'ailleurs
rendus compte sur le plateau. Alors que l'actrice canadienne demande au réalisateur
quand sera tournée la scène, constamment repoussée, où
elle sauve l'arbitre, elle reçoit cette réponse (relatée
par Eddy Mitchell) : "Vous comprenez,
Carole, moi j'ai plein de soucis. Regardez, Michel Serrault
dans ce film a un rôle très méchant. C'est un film dramatique,
et Michel Serrault , le public ne l'aime que quand
il fait rire. Donc, les gens ne vont pas venir voir Serrault. Vous, Eddy
Mitchell, vous êtes un bon comédien mais on ne sait pas si
vous allez devenir une grande star de cinéma. Quant à vous, Carole,
vous n'êtes rien du tout. Donc, les gens vont venir voir mon film !
Allez, au revoir !"
Obtenir la collaboration des clubs de football, au regard du
sujet, n'est pas chose facile. "J'ai expliqué, longuement, que
je ne faisais pas un film contre le sport. Je voulais traiter, dramatiquement,
très vite, l'histoire de la colère folle d'un groupe de supporters.
Je ne voulais pas vomir le football. J'ai cherché un stade où
tourner le match fatal. C'était difficile. Les clubs avaient été
échaudés par une précédente expérience avec
la télévision : un téléfilm venait d'être
projeté qui montrait un type abattant au fusil à lunette les silhouettes
sur la pelouse et, ici ou là, des joueurs commençaient à
recevoir des coups de fil de menaces."
C'est finalement au stade de Rouen, pendant le match contre Strasbourg, que
Jean-Pierre Mocky pose ses caméras. Il
n'a toutefois que l'autorisation de filmer des scènes de foule et entoure
Eddy Mitchell et Michel Serrault
de plus de deux cents figurants afin de les protéger. Les plans du match
sont filmés plus tard. "Le casse-tête a été
de trouver aux joueurs une couleur de maillot ne correspondant à aucune
appartenant à un vrai club."
À mort l'arbitre, comme tous les films sur le sport, ne rencontrera
pas un grand succès mais sera vu par 17 millions de téléspectateurs
lors de sa diffusion dans le cadre des "Dossiers de l'écran"
en 1989, après les drames du Heysel et de Sheffield.
Philippe Lombard