Edward Meeks
Posté le 2012-04-05 14:23:23

Originaire du Michigan, Edward Meeks est devenu une vedette en France avec la série des Globe-trotters. Il a également promené son accent dans de nombreux films européens et américains, où il a eu l'occasion de croiser Robert Mitchum, Jean Gabin ou Grace Kelly. Il revient pour Histoires de Tournages sur sa carrière.

Philippe Lombard : Vous avez débuté votre carrière comme cascadeur sur "Le Jour le plus long"...

Edward Meeks : À cette époque, j'avais une bourse pour étudier et je suivais les cours du Centre Dramatique de l'Est à Strasbourg. En lisant le Herald Tribune, j'ai appris qu'on préparait à Paris Le Jour le plus long. J'ai donc fait du stop pour me rendre dans la capitale où j'ai rencontré Margot Capelier, la directrice du casting. Quand je lui ai dit que j'étais américain et que je venais de l'Est de la France, elle a commencé à douter de mon histoire. J'ai alors sorti de mon porte-feuille un petit article d'un journal alsacien qui parlait d'une pièce de théâtre, Golden Boy de Clifford Odets, que j'avais jouée et mise en scène à la Faculté des Lettres de Strasbourg. Elle m'a alors cru et m'a dit : "Je ne peux pas vous donner un rôle tout de suite mais accepteriez-vous de travailler comme cascadeur ?" Cascadeur dans un grand film de la Twentieth Century Fox ? Je n'ai pas hésité un moment et j'ai dit oui. Je me suis dirigé vers la porte et, comme dans une scène de Columbo, elle m'a dit : "Ah, encore une question !". Elle m'a demandé si j'avais déjà fait du parachutisme. Je me suis dit à moi-même : "Merde ! Si je dis non, je vais louper l'affaire, et si je dis oui, je vais me tuer !" (rires) J'ai donc décidé de vivre et elle m'a dit : "Ça ne fait rien !" Quelques jours plus tard, j'ai reçu un télégramme à Strasbourg et je suis revenu en stop. C'était mon premier rendez-vous, j'étais dans un état d'euphorie, je sentais un tournant dans ma vie. Au matin, en arrivant aux studios de Boulogne, j'avais l'impression d'être John Wayne ou Henry Fonda ! J'ai tourné au coin, j'ai suivi le petit passage jusqu'à la cour de derrière et là... il y avait au moins trois cents mecs, exactement comme moi ! (rires) Ça m'a ramené à une certaine réalité. Mais j'ai été sélectionné.

Vous avez suivi un entraînement militaire ?

Oui, à Versailles, nous étions sous les ordres d'un ancien sergent de l'armée allemande. Il était exigeant et on a travaillé trois semaines avant qu'on ne nous emmène sur les plages en Normandie. Pendant trois mois, j'ai fait des cascades. J'ai été tué je ne sais combien de fois, la plupart du temps en uniforme allemand mais aussi anglais, polonais, américain et français. Quand j'ai vu le film à sa sortie, je faisais rire ma femme parce que je lui disais "Là, c'est moi qui tombe par la fenêtre !", "C'est moi qui suis écrasé juste à côté du canon !" (rires)

Comment avez-vous obtenu un rôle sur le film ?

Pendant le tournage, Daryl Zanuck, le producteur, a demandé un acteur à Hollywood pour un petit rôle de lieutenant américain. Mais celui-ci avait déjà signé pour un autre film. Ça a rendu fou de rage Zanuck, qui donnait des coups de pieds dans le sable ! Le premier assistant, Bernard Farrel (le fils de Jacques Feyder et Françoise Rosay), lui a alors parlé de moi. "Allez le chercher !" Je vais le voir, il me regarde, me fait donner le texte. Une demi-heure plus tard, je rentre à nouveau dans la tente où il est entouré de tous ses assistants. Je joue la scène. C'est peut-être le moment le plus important de ma vie professionnelle. Long silence. Zanuck retire son cigare et il dit : "Bernard ! Je crois que votre protégé va faire l'affaire, c'est une regular little vedette !" Et ma vie a changé ! Jusque-là, j'étais tout le temps obligé de trouver une explication à ma situation : pourquoi avais-je quitté l'Amérique pour apprendre le métier d'acteur en France alors que je ne parlais pas français ? C'était illogique. Et là, la logique est tombée.

Et vous donnez la réplique à Robert Mitchum ...

On me l'a présenté quatre jours plus tard, il venait d'arriver de Hollywood. Le jour de la scène, un assistant est venu nous voir pour nous dire : "Monsieur Mitchum , Monsieur Meeks, vous pouvez approcher de la caméra ? Dans quelques minutes, c'est à vous." Je me suis levé et j'ai vu la centaine de personnes qui se trouvaient derrière la caméra, contre une douzaine sur un film normal. Mais Le Jour le plus long était quelque chose d'énorme ! Il y avait les membres de l'équipe de toutes nationalités, mais aussi des agents, des journalistes, des touristes, de la famille... J'ai vu tout ça et je me suis retourné vers Robert Mitchum , l'une des plus grandes vedettes de Hollywood... Dans quelques minutes, j'allais pour la première fois de ma vie me retrouver devant une caméra en train de jouer la comédie... Je sentais mes genoux qui faisaient "clac ! clac !" (rires) J'ai dit à Mitchum : "M. Mitchum , je ne sais pas si je peux le faire..." Il a avancé sa main, a mis son bras autour de mes épaules et s'est penché à mon oreille. Il m'a dit un seul mot en anglais, mais ce qui comptait, c'était la façon dont il l'a dit : "Shit !". Ça voulait dire "C'est rien du tout ! Tu vas faire ça les mains dans les poches !" Il avait tout dit !

Votre carrière a donc vraiment débuté à partir de là ?

Oui, sur le plateau, j'ai pu rencontrer des gens, et un des acteurs m'a conseillé d'aller voir de sa part son agent sur les Champs-Elysées. Je suis donc entré chez MCA et le premier film qu'on m'a fait faire, c'est Le train de Berlin est arrêté avec Sean Flynn. Ensuite, René Clément m'a convoqué pour un rôle de pilote anglais caché par la Résistance dans Le Jour et l'heure avec Simone Signoret. L'entretien s'est très bien passé et au moment de partir, il m'a dit quelque chose au sujet de l'Angleterre. Et bêtement, j'ai dit "Mais vous savez, je suis américain." "Ah bon !" Il était déçu. J'ai appris qu'après mon départ, Clément a demandé à son assistant Claude Pinoteau d'aller en Angleterre trouver un acteur proche de moi physiquement. Mais quelques semaines plus tard, le cinéaste a demandé à ce que l'on me fasse venir sur le tournage. Je suis arrivé et Clément m'a invité à table. Après manger, j'ai commencé à discuter tout naturellement avec la vedette américaine du film, Stuart Whitman. Et il y avait aussi les acteurs anglais. Puis, Clément a dit : "Ça y est ! Maintenant que je vois Edward avec l'Américain, je me rends compte qu'il fait vraiment américain, et l'anglais fait vraiment anglais. Je vois la différence !" (rires) Donc, j'ai perdu le rôle et je suis retourné à Paris le lendemain, extrêmement déçu. C'est fou dans ce métier comme on peut frôler les choses... J'ai quand même eu une journée de tournage dans un petit rôle d'Anglais.

Il y a plusieurs acteurs américains en France à l'époque comme Jess Hahn ou Bill Kearns. Y avait-il une rivalité entre vous ?

J'ai connu Jess Hahn sur Le train de Berlin est arrêté et j'ai espéré tourner de nouveau avec lui mais ça ne s'est pas fait. J'ai rencontré Bill Kearns chez Roger Planchon et j'ai joué avec lui pendant deux ans au théâtre Marigny dans Nini la chance avec Annie Cordy ! Je ne crois pas qu'il y ait eu des rivalités entre nous, il faut dire que je n'avais pas le même emploi qu'eux. Entre Jess et Bill, c'est possible. On pouvait peut-être penser à eux deux pour les mêmes rôles, je ne sais pas...

En 1966, vous devenez vedette avec la série télé Les Globe-trotters au côté d'Yves Rénier.

J'avais entendu que la Franco-London cherchait un Américain pour une série. J'ai passé un essai avec le réalisateur Claude Boissol et j'ai obtenu le rôle. Le tournage se faisait de façon très rapide et il fallait souvent ajuster les scènes en fonction des conditions du moment. Malheureusement, l'acteur avec qui je formais le duo n'avait pas d'expérience et ça se passait très mal. On a fait trois épisodes : "Paris", "Marseille" et "Naples". Et en Sicile, les producteurs ont rappelé Boissol à Paris pour qu'il trouve un autre acteur. Il est revenu avec Yves Rénier. On est parti à Istanbul puis en Iran. L'épisode suivant devait se tourner à la frontière de l'Inde et du Pakistan mais une guerre a éclaté à ce moment-là, on s'est donc rabattu sur la Thaïlande. Puis, ce fut Hong Kong, les Philippines et Tokyo. On est revenu en France pour retourner avec Rénier les épisodes de Paris et Marseille. La deuxième saison a été tournée au Canada, en Écosse, en Scandinavie, en Hongrie et en Roumanie, et la troisième au Mexique, en Argentine, au Pérou et au Brésil.

La télévision avait donc beaucoup de moyens pour assurer un tournage à travers le monde ?

Oh non, Les Globe-trotters s'est fait avec des bouts de ficelle ! C'est un miracle ! On a fait une vingtaine de pays, et j'ai le souvenir que dans la moitié d'entre eux, le dernier jour de tournage avant le départ, le directeur de production nous disait : "Attention, vous avez deux heures !" Et si on ne parvenait pas à mettre en boite la scène, le reste de l'épisode ne tenait pas debout. Et dès qu'on entendait le mot "coupez !", on se précipitait en mini-bus à l'aéroport pour prendre l'avion pour le prochain pays. Le budget était tellement serré que si on restait un jour de plus, cela pouvait être une catastrophe pour la production.

En 1969, vous interprétez le pilote de l'avion détourné dans Le Clan des Siciliens...

Quand on tournait à l'aéroport du Bourget, on ne pouvait pas empêcher le public d'arriver. Une flopée de gens s'est approchée de Delon. Et moi, j'étais aussi très entouré, à cause des Globe-trotters ! À cette époque, beaucoup de vedettes de cinéma n'auraient pas apprécié du tout. Moi, je n'avais qu'un rôle secondaire, alors que lui partageait l'affiche avec Gabin et Ventura. Mais Delon était au-dessus de tout ça. Quand il a vu le paquet de gens qui m'entourait, il m'a fait un signe amical. Il était aussi content pour moi qu'il l'était pour lui. Or, certaines vedettes, beaucoup moins importantes que lui, n'auraient pas apprécié de voir un acteur de télé lui faire concurrence, en quelque sorte.

Quels souvenirs gardez-vous de Jean Gabin ?

J'avais tourné avec lui dans Maigret voit rouge en 1963, et j'ai eu l'astuce de ne pas en profiter. Le premier jour du tournage, je ne suis pas allé vers lui, j'ai laissé faire. Et il est venu vers moi, gentiment, avec beaucoup de classe et de respect. Il a commencé à me parler. Il a compris que je ne voulais pas l'embêter ni profiter du fait que je le connaissais déjà. Il aimait bien parler anglais avec moi. Gabin était parti en Amérique pendant la guerre et il avait acquis une base, mais je doute sérieusement qu'il ait eu souvent l'occasion de parler anglais. Alors, il profitait de la présence d'un acteur américain. Et quand on parlait de quelque chose qui devenait un peu plus nuancé ou compliqué, il continuait en français, puis il revenait à l'anglais quand il était plus à l'aise. Delon avait un respect pour Gabin, c'était fabuleux ! Il n'y avait pas de sentiment de compétition entre deux vedettes. Pour lui, c'était Gabin qui était la vedette. C'était très beau de voir ce respect qui n'était pas fabriqué.

Vous avez tourné le dernier film de Grace Kelly, Rearranged, resté inédit...

À la fin des années soixante, j'ai été invité, grâce aux Globe-trotters, au festival de télévision de Monaco. C'est là que j'ai rencontré ma femme, la romancière Jacqueline Monsigny. On était ensemble dans la file d'attente à Orly puis assis côte à côte dans l'avion, on ne se quittait plus ! (rires) Et la princesse Grace a vu notre histoire se poursuivre sous ses yeux, on est donc devenu "son" couple, car c'est grâce à elle et à ses invitations que Jacqueline et moi nous sommes rencontrés. On la voyait régulièrement et chaque fois qu'on était sur la Côte, on avait l'habitude de lui téléphoner pour la voir. Elle nous a invités pour l'inauguration de son théâtre, notamment. On est devenu de plus en plus amis, elle avait confiance en nous. Et un jour, elle a eu l'idée de faire un film et nous en a parlé dans sa maison parisienne. "Jacqueline, je veux que vous écriviez un scénario et je veux Edward comme partenaire." C'était un énorme cadeau pour nous, car elle aurait pu avoir qui elle voulait à Hollywood ! Ma femme a écrit Rearranged, une jolie comédie basée sur un quiproquo (Ndla : un astrophysicien arrive à Monaco pour une conférence scientifique mais la princesse Grace le prend pour un journaliste anglais qui doit écrire un article sur le concours international de fleurs de Monaco). Elle a produit elle-même le film, tourné à Monaco en 1980, ce qui supprimait les craintes de nombreux habitants de la voir quitter la principauté pour reprendre une carrière hollywoodienne. Quatre ou cinq cents personnes ont assisté à la première qui a été un succès. La princesse s'est alors rendue aux États-Unis pour vendre le film à la télévision. Ils étaient tous prêts à le diffuser mais il fallait rajouter vingt minutes pour faire un One-Hour Special. À son retour, nous en avons discuté tous les trois et nous avions convenu de nous reparler en septembre (1982). Mais la veille du jour où je devais lui téléphoner, j'ai appris comme tout le monde la terrible nouvelle de sa mort... Beaucoup de gens m'ont contacté pour obtenir le film mais les enfants ont décidé que la douleur était tellement grande qu'il ne fallait pas le sortir. J'ai une copie de Rearranged dans un coffre à la banque. Peut-être qu'un jour, les enfants reviendront sur leur décision...

Vous êtes en 1985 le commanditaire d'une opération commando pour délivrer un général de l'Otan dans Les Loups entre eux de José Giovanni...

C'est Max von Sydow qui devait jouer mon rôle. Mais au dernier moment, il a laissé tomber le film pour aller faire une pièce à Londres. José Giovanni a alors commencé à chercher une autre vedette du côté d'Hollywood. Et TF1, qui était le coproducteur du film, lui a dit : "Vous cherchez un acteur à plusieurs millions de dollars, alors que ça ne va rien changer au destin du film. Nous, nous avons produit Le Grand Carnaval d'Alexandre Arcady, dans lequel Edward Meeks jouait un rôle similaire de colonel américain. Nous pensons qu'il pourrait très bien le faire." En bon Corse, Giovanni n'aimait pas qu'on lui impose quoi que ce soit sur ses films et il me l'a bien fait sentir pendant le tournage. Il n'était pas question pour lui de me faire trop de compliments. Mais de toute façon, il avait tellement de problèmes avec les autres acteurs qu'il avait autre chose en tête ! (rires) Notamment à cause des bagarres rendues un peu trop réalistes par le costaud Jean-Roger Milo qui "vivait" son personnage. Par la suite, avec Giovanni on s'est revu lors de signatures de livres, et il s'est toujours montré très amical. (Ndla : d'autres "problèmes" sont survenus sur le plateau, entre Giovanni et Niels Arestrup par exemple, sans compter un accident mortel d'hélicoptère).

Vous avez eu l'occasion de revenir aux États-Unis avec le téléfilm "Michigan Mélodie" (1986)...

Oui, c'était l'adaptation d'un roman de mon épouse, Mariage à la carte. C'était merveilleux car j'ai pu lier les deux moitiés de ma vie ensemble. Sur place, j'ai fait faire de la figuration à mon père, mes frères, mes belles-sœurs... Toute l'équipe était française. Et quand les Américains les ont vu débarquer, il y a eu un échange extraordinaire d'amitié. Les Français ont découvert l'Amérique profonde. Il y avait une bonne énergie.

Avec "Châteauroux District" (1987), vous interprétez votre premier rôle de méchant.

Oui, et après, j'ai pu en enchaîner d'autres. Un jour, on m'a proposé un rôle d'ambassadeur dans un épisode de Navarro (en 1989), mais je préférais le personnage du fou revenu du Vietnam qui poursuivait une Chinoise. J'ai montré au réalisateur Patrick Jamain et à Roger Hanin une scène de Châteauroux District, et Roger a dit "Voilà notre personnage !" À partir de là, les rôles de méchants ont commencé à tomber plus facilement. Beaucoup de gens qui avaient encore en tête le personnage de Bob dans Les Globe-trotters me disaient "Mais comment pouvez-vous être aussi salaud à l'écran ? Vous êtes si convaincant, on n'attendait pas cela de vous."Je leur répondais : "Vous savez, dans la vie, j'arrive à cacher la vérité mais sur l'écran, ça sort !" (rires)

Entretien réalisé par Philippe Lombard

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