Olivier Gérard, 1ère partie : Les débuts
Posté le 2014-01-24 16:06:39

«Histoires de tournages» vous convie à l'évocation des souvenirs d'Olivier Gérard. Sans être lui-même célèbre, beaucoup de films auxquels il a participé en tant qu'assistant le sont : «L'HOMME DE RIO», «LA VIE DE CHATEAU», «UNE HISTOIRE IMMORTELLE» ou «BORSALINO», pour ne citer que ceux-là... Condisciple de Louis Malle et d'Alain Cavalier à l'Idhec, il a assisté aux débuts de Jean-Paul Belmondo, découvert la petite interprète de «ZAZIE DANS LE METRO» et travaillé avec Orson Welles, Carroll Baker, les Shadows, Alain Delon, Catherine Deneuve, Jacques Tati, Romy Schneider ou Jeanne Moreau. Il est aujourd'hui auteur de romans (Prions pour la mort, Te retourne pas, Handala!).

 

1ère partie : Les débuts

Diplômé de l'Idhec avec Louis Malle et quelques autres, Olivier Gérard trouve assez vite du travail comme assistant-réalisateur. Ce qui lui permet de travailler avec d'autres débutants comme Jacques Deray ou Jean-Paul Belmondo...

Philippe Lombard : Comment êtes-vous entré dans le cinéma ?

Olivier Gérard : Je suis originaire de Saint-Dié, une petite ville des Vosges. Étant d'une famille de juristes, la tradition voulait que je reprenne l'étude d'avoué de mon père. Après la guerre, je suis donc allé faire du droit à la faculté de Nancy. J'ai eu ma licence mais il n'était pas question que je continue, mon obsession c'était le cinéma ! Et un jour, alors que je parlais de cinéma à mon frère qui faisait une thèse de doctorat sur les droits d'auteur de cinéma, il m'a dit : «Oh, tu nous saoules avec le cinéma, tu n'as qu'à faire l'Idhec !» Je me suis dit, voilà c'est ça ! Un de mes camarades étudiants m'a dit aussi «Si c'est du cinéma que tu veux faire, il faut le faire !» J'ai affronté ma famille qui s'est opposée fermement à cette idée. J'ai donc biaisé en proposant de faire des études de lettres à Paris, avec l'arrière-pensée qu'une fois là-bas... Bref, j'ai fait hypokhâgne et khâgne au lycée Henri IV, où j'ai rencontré François Leterrier et Christian Ferry. À ce moment-là, l'Idhec a fermé ! À cette époque, il y avait déjà des problèmes de crise, on disait qu'il y avait trop de professionnels, qu'il ne fallait pas en attirer encore ! J'étais donc un peu désespéré. Et puis, l'année suivante, en 1951, l'Idhec a rouvert ! J'ai passé le concours et je me suis retrouvé admissible, puis reçu : mes parents ont baissé pavillon.

Quels étaient vos condisciples ?

Michel Wyn, Serge Friedman, Robert Mazoyer, Louis Malle, Alain Cavalier, Michel Mitrani... Après mes études de droit et autres, l'Idhec c'était l'abbaye de Thélème ! On avait un sentiment de liberté, c'était nous qui faisions l'école : après l'année de fermeture, l'Idhec avait inauguré un nouveau bâtiment, boulevard d'Aurelle de Paladines, nous avions l'impression de créer l'école. Le travail se faisait de façon alternative. On réalisait des films et nous occupions tour à tour à tous les postes. Ça a créé une espèce de communauté, et Philippe Collin, Mazoyer et Wyn sont restés mes amis et mes collaborateurs plus tard dans le métier.

Nous sommes quelques années avant le début de la Nouvelle Vague. Quelle était votre attitude à tous, concernant le milieu du cinéma ? Vous vouliez tout casser ?

Non. Mais on avait un complexe énorme. C'était la première école de cinéma, et notre obsession c'était d'être regardé comme des professionnels, car on savait que dans la promotion précédente, les gens du métier rigolaient. «Une école de cinéma ? Pourquoi ? Ça ne s'apprend pas à l'école, le cinéma ! C'est pour les ringards !» Donc, on voulait être pris au sérieux et on faisait l'impossible pour. D'ailleurs, on était techniquement assez préparé. Comme professeurs, on avait des gens comme Stellio Lorenzi, qui deviendra ensuite un grand réalisateur de télévision.

Quel a été votre premier film et qu'y faisiez-vous ?

SANG ET LUMIERES, à ma sortie de l'Idhec en 1953. C'était un film de Georges Rouquier sur la corrida. On m'a dit qu'on ne me prendrait comme stagiaire que si je parlais l'espagnol. Ce n'était pas le cas, alors j'ai acheté un Assimil et j'ai appris les bases. Mais le directeur de production Walter Rupp, qui était très avare, ne voulait pas m'emmener en Espagne à ses frais. Je suis quand même venu, dans la voiture de l'ingénieur du son, et Rupp m'a dit «Tiens, vous êtes venu ?» (rires). Les têtes d'affiche étaient Daniel Gélin, une grande star à l'époque, et la hongroise Zsa Zsa Gabor. Elle parlait mal le français et on m'avait missionné pour lui apprendre et lui faire répéter ses textes. La première fois que je l'ai vue, au maquillage, je lui ai baisé la main, elle a trouvé ça «so french» (rires) ! Elle était très gentille. Elle m'avait pris en sympathie, me faisait des confidences... mais son texte restait épouvantable ! (rires) Au lieu de dire à Gélin «Ce sont tes tours de piste qui t'ont mis en retard ?», elle disait «Ce sont tes tours de piscine qui t'ont mis en retard ?» (rires) Marcel Camus, qui était premier assistant, me faisait les gros yeux... C'était d'ailleurs plutôt lui qui s'occupait des scènes avec Zsa Zsa Gabor, car pour Rouquier , qui venait du documentaire, les acteurs et en particulier elle, étaient pour lui un monde inexploré. Jacques Deray était deuxième assistant.

Vous avez ensuite tourné deux films avec le cinéaste hongrois Géza Radványi...

Oui. D'abord DOUZE HEURES D'HORLOGE avec Lino Ventura, Gert Froebe, Eva Bartok et aussi Suzy Prim, une grande vedette des années trente. Elle était aussi productrice du film avec son mari Alain de Saint-Jean. Elle disait : «Non, non, je ne suis pas là pour signer des chèques, je joue, je joue !» (rires) «Qui est-ce que je regarde ? Oh, je vais regarder Olivier, le jeune premier de l'équipe !» (rires) Et Radványi disait au moment de tourner «Also, wir drehen» (allez, on tourne) mais personne ne comprenait ! Il avait tourné juste avant JEUNES FILLES EN UNIFORMES avec Romy Schneider en Allemagne et il s'y croyait encore ! (rires) Il m'a repris comme assistant sur MADEMOISELLE ANGE à la Victorine, à Nice. Romy Schneider et Henri Vidal étaient les vedettes. On cherchait quelqu'un pour jouer un rôle secondaire de pilote automobile, le copain de Vidal. Le coproducteur allemand nous a dit : «Je connais quelqu'un qui est très bien, laissez-moi vous le présenter, monsieur Radványi.» Je vois encore la scène, dans un couloir. «Je vous présente Jean-Paul Belmondo, un garçon qui a de l'avenir !» Il était très drôle. Et il y avait aussi Michèle Mercier, pratiquement inconnue.

Ces jeunes acteurs, dans quel état d'esprit étaient-ils ? Ils étaient ambitieux ?

Non, non, on n'avait pas l'impression qu'ils étaient arrivistes, ni l'un ni l'autre. Ils n'avaient pas les dents qui raclaient le parquet. C'est plutôt une mentalité d'aujourd'hui, de vouloir «arriver» absolument. Belmondo, il était très bohème... Le soir à Nice, je le rencontrais, il allait à l'aventure, faisait la fête pour se défouler... Michèle, elle, c'était la gosse du pays, elle vivait avec ses parents.

Et Romy Schneider ?

Romy était assez tourmentée. Quand on a tourné la première scène du film en studio, dans le décor de sa chambre, elle était affalée sur son secrétaire et elle pleurait. Radványi s'est mis en colère et lui a fait la leçon comme à une gamine : «Ah Romy, tu ne vas pas commencer, hein, ça suffit ! On tourne un film !» Je ne sais pas ce qui la tourmentait, moi je l'ai toujours trouvée gentille et délicieuse. Et aussi très courageuse. Je me souviens que lors d'une scène dans le vieux Nice, je disais aux gens à leurs fenêtres : «S'il-vous-plaît, ne regardez pas la caméra, on tourne un film !» Et le producteur O'Connell a surgi : «Surtout, ne leur dites pas ça, on va être obligé de les payer !» (rires) À la fin de la prise, Romy est venue me voir : «C'est dégueulasse ce qu'il t'a dit, jamais plus je ne travaillerai avec eux !» À l'époque, elle était follement amoureuse de Delon, qui venait discrètement sur le plateau. Elle griffonnait des petits papiers et me chuchotait : «Va porter ça à Delon !» (rires) Je me souviens d'une très jolie scène que j'ai vécue. Romy était tombée malade, la grippe, et j'étais allé la voir au Negresco avec un bouquet de violettes. Elle était au lit et puis Delon est arrivé. Donc, on était chacun d'un côté, et Romy au milieu avec ses violettes ! Un spectacle !

À cette époque, les tournages sont-ils très hiérarchisés ?

Moi, je me suis très souvent trouvé, je ne sais pas pourquoi, dans des tournages non hiérarchisés. Dans SANG ET LUMIERES, comme Marcel Camus avait déjà un certain prestige et qu'il était sur le point de devenir metteur en scène, sur le plateau il était une sorte de co-réalisateur, et Jacques Deray pratiquement premier assistant. Donc en tant que stagiaire, je travaillais en fait comme un deuxième assistant. Sur SANTO MODICO (un film de Robert Mazoyer, qui n'est jamais sorti), je faisais à la fois le casting, la décoration d'intérieur, l'assistant, le costumier, etc.

2ème partie - Zazie dans le métro >>>

Entretien réalisé par Philippe Lombard

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