Les Seins de glace (1974)
Posté le 2009-04-27 06:15:24

En 1972, la firme Lira Films engage Jean-Pierre Mocky pour adapter le roman de Richard Matheson, Les Seins de Glace. "Comme j'étais très copain avec Polanski, raconte le réalisateur, je pensais prendre son interprète de Rosemary's baby, Mia Farrow, qui me paraissait être le personnage des Seins de glace. Autour de cette femme fragile qui tue avec un pic à glace tout homme qui s'approche d'elle, parce qu'elle a été traumatisée dans sa jeunesse, j'avais Alain Delon et Jon Finch, qui venait de jouer dans Frenzy d'Hitchcock" Delon dirigé par Mocky… ce mariage inattendu est annoncé comme tel dans les médias mais ne se fait finalement pas. "Brusquement, un jour, alors que je m'occupais de la mise en place des décors avec le directeur de production, aux studios de la Victorine à Nice, quatre semaines avant le début du tournage, je reçois un coup de téléphone de Delon qui me dit : "Ecoute, j'ai bien réfléchi : c'est Mireille Darc et Michel Duchaussoy." Ce à quoi je réponds : "Alain, j'aime beaucoup Mireille Darc, mais je ne la vois pas dans le rôle." Il me rétorque : "C'est ça ou rien." Et il raccroche."

L'affaire traîne en longueur. Alain Delon part tourner Les Granges Brûlées de Jean Chapot avec Simone Signoret et Mocky pense un temps interpréter lui-même le rôle de Delon, face à Jane Birkin (Mia Farrow n'étant plus disponible). Mais la star s'entête et rachète les droits du projet au réalisateur, qui financera ainsi Un linceul n'a pas de poches et L'Ibis Rouge. Delon tient à ce que Mireille Darc, qui est alors sa compagne, obtienne le rôle car il considère qu'on l'a cantonnée jusqu'ici aux rôles comiques et que son potentiel dramatique mériterait d'être exploité. Pour son partenaire, il contacte finalement Claude Brasseur. "Un jour, Delon me fait venir d'urgence : "Voilà un scénario. Installe-toi, lis. Après, je t'explique." C'était Les Seins de glace. Il y avait deux rôles masculins dont un, d'avocat, prévu pour durer trois semaines sur douze de tournage. "Alors ? – Je suis un peu jeune pour l'avocat. – L'avocat, c'est moi. Je te propose le rôle principal. Je veux faire ce film pour Mireille et toi. Mais vous n'êtes pas assez connus pour que je le monte financièrement sur vous deux. Ce sera avec nous trois ou pas du tout. Je suis propriétaire des droits."" Pour Brasseur, qui est alors au creux de la vague, c'est une véritable aubaine.

Mireille Darc propose que Georges Lautner réalise le film. Celui qui l'a dirigée dans Ne nous fâchons pas ou La Grande Sauterelle n'est pourtant pas un choix évident. "Il a hésité longtemps. Il est à l'aise dans la comédie, il connaît toutes les ficelles du rire, mais le drame n'est pas son terrain préféré. Il savait pourtant que je lui en voulais de m'avoir complètement enlisée dans ces rôles d'adorables femmes fatales. Et que je lui en aurais voulu plus encore de ne pas prendre ce risque pour moi." Il accepte finalement de relever le défi, pour Mireille Darc mais aussi pour Alain Delon avec qui il n'a encore jamais travaillé. "En une nuit, j'ai lu le roman et, le lendemain, j'ai commencé l'adaptation et les dialogues. L'histoire a été transposée : au lieu de Chicago, j'ai choisi la Côte d'Azur comme décor. En même temps a été éliminé du roman tout le côté conventionnel : au lieu de nous promener parmi les truands, nous nous promènerons parmi d'honnêtes gens. Mais il va sans dire que nous avons conservé le suspense et l'atmosphère inquiétante de cette histoire à la Hitchcock." L'adaptation est écrite par Lautner et son beau-frère Albert Kantoff, "et avec des gens qui ont touché de l'argent, mais qui ont préféré ne pas figurer au générique".

En réalisant un film voulu et produit par Alain Delon, Lautner se retrouve avec des moyens et des méthodes auxquels il n'est pas habitué. "Delon voulait qu'on fasse un dîner et que toutes les filles soient en robe du soir haute couture et que tous les bijoux soient vrais. Le plateau état encombré de flics envoyés par Cartier pour surveiller leurs trucs. J'ai été pris par l'ampleur. Ce n'était pas ma méthode de travail, j'étais pris par les trucs qu'il fallait montrer, alors qu'on doit s'en foutre. Je tournais beaucoup en plans larges…"

Pour le rôle de l'avocat, protecteur de la jeune femme qu'il sait psychologiquement fragile, la star n'est disponible que deux semaines car Jacques Deray l'attend à Marseille pour Borsalino & Co. Lautner doit donc régler son plan de travail en fonction de cela… et d'autres choses. " Delon était entouré de tout un folklore assez curieux : des gardes du corps, etc. On entendait encore les échos de l'affaire Markovic… Ce n'était pas de tout repos. Le premier jour, pour éviter qu'il attende, au lieu de le faire venir et de lui dire : "Il y a tout à régler, on tourne dans 1h15", j'avais réglé le plan à l'avance. J'avais fait installer un travelling devant la maison où l'on tournait. Quand il est arrivé, je n'étais pas là… Il était en voiture avec ses gardes du corps et il a exigé qu'on casse le travelling. Il voulait descendre de sa voiture six mètres plus loin, devant les marches de la maison. Les machinos ont cassé le travelling. Ils l'ont remonté ensuite, après le départ de la voiture. C'était un climat assez spécial…"

À sa sortie, le film est conspué par les aficionados de Richard Matheson mais rencontre le succès, permettant à Claude Brasseur de relancer sa carrière et à Mireille Darc de modifier son image. Fort de ce "test", Georges Lautner sera engagé en 1977 par Alain Delon pour réaliser Mort d'un pourri.

Philippe Lombard

[Sources : "Première" n°125, "Le Nouvel Observateur" du 16 août 1974, "Télé-Ciné Obs" n°2022, "Georges Lautner foutu fourbi" de José Louis Bocquet (La Sirène, 2000), "Tant que battra mon cœur" de Mireille Darc (XO éditions, 2005)]

Titre Original :
SEINS DE GLACE, LES

Titre anglais :
ICY BREASTS / SOMEONE IS BLEEDING

Année : 1974

Nationalité : France

Réalisé par :
Georges Lautner

Ecrit par :
Georges Lautner & Richard Matheson

Musique de :
Philippe Sarde

Interprété par :
Mireille Darc, Alain Delon, Claude Brasseur, André Falcon, Nicoletta Machiavelli, Fiore Altoviti, Philippe Castelli & Mario Darsac


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