Les Valseuses (1974) Posté le 2010-01-27 01:03:03 Assistant de Georges Lautner au
début des années soixante, Bertrand Blier
écrit pour lui le scénario de Laisse aller c'est une valse
en 1971. "On se marrait ensemble. Bertrand a un humour sarcastique,
destructeur, se souvient Lautner.
Des bonnes plaisanteries, assez méchantes, plus pernicieuses que celles
de Bernard⦠Il m'a fait le lire le début des Valseuses. Moi j'ai
dit : "J'essaie tout de suite de le monter !". Il m'a dit :
"Non, non, je me le garde, je vais aller m'isoler à la montagne."
Et il est parti passer plusieurs mois à Saint-Gervais pour écrire
son roman."
Pour Blier, ce livre est une sorte de libération.
"Au bout de cinquante pages, je m'étais beaucoup plus amusé
qu'en cinq ans de cinéma." En cours d'écriture, pourtant,
il apprend que Henri-Georges Clouzot, alors
âgé de 65 ans, reçoit tous les auteurs de Paris pour un
ultime film. Le jeune scénariste va le voir et lui raconte son histoire.
À la fin de l'après-midi qu'il lui a consacré, le cinéaste
du Corbeau lui répond : "Les jeunes d'aujourd'hui
ne sont pas comme ça !" Blier
se remet alors au travail et en parle autour de lui. Le représentant
de Paramount France prend une option sur les droits, ce qui lui permet d'aller
au bout du projet. Imaginé à l'origine comme une Série
Noire, l'histoire prend une autre direction tout en conservant l'idée
des deux voyous. "J'ai choisi ces personnages car je ne voulais pas
parler de moi. J'aurais pu raconter des obstacles que rencontre un fils de bourgeois
lorsqu'il veut réaliser un projet, et qu'il se heurte à la même
stupidité ; mais ce serait devenu autobiographique et cela m'aurait
irrité. Alors, j'ai transposé."
Une semaine après la sortie du livre, qui rencontre un
grand succès, Blier signe un contrat pour
sa transposition à l'écran. Sa première préoccupation
est de trouver le casting idéal. Il se souvient de Miou-Miou
rencontrée sur le tournage de Quelques messieurs trop tranquilles,
qui s'avère parfaite. "Dans ce film, je ne suis pas une comédienne
interprétant un rôle, dira-t-elle plus tard. Je suis moi. J'ai
connu cette vie aventureuse. Mon adolescence a été un peu ça.
J'ai vécu avec ce genre de garçon, de " loubard ",
de petits voleurs." Reste à trouver ses deux partenaires.
Pour le rôle de Jean-Claude, se souvient Blier,
"je cherchais un acteur fin, un voyou fragile. Depardieu
était mince à l'époque, mais quand même il
avait un côté un peu paysan. J'avais la vision d'un voyou très
différent. Mais il s'est imposé. Il sentait bien que ce n'était
pas lui que je voulais, mais il avait lu le livre et voulait absolument faire
le film. Il est venu me voir tous les jours dans le bureau de mon producteur,
place des Invalides. Il s'asseyait en face de moi, chaque jour habillé
différemment. Un jour, il s'habillait très chic, avec un blazer.
Le lendemain, il venait en jean, on aurait dit un clochard. C'était très
drôle⦠Donc, en le voyant tous les jours comme ça, il s'est imposé.
Et il était évident que les autres n'étaient pas aussi
bien que lui, sur le plan de la puissance de la personnalité."
Bertrand Blier fait passer des auditions
aux comédiens du Café de la Gare, parmi lesquels Coluche
et Patrick Dewaere. "Moi, raconte ce dernier,
je me suis retrouvé dans son bureau âj'avais lu son livre- et je lui
ai dit tout de suite : "Vous savez, je ne suis pas du tout, du tout,
le personnage." Il était d'accord avec moi, mais nous nous sommes
quittés bons amis et moi, j'ai essayé de lui trouver un mec pour
le rôle. Lui, il a fait des tas d'essais⦠Quarante ou cinquante je crois !
C'est énorme ! Et puis, à la fin comme il n'avait toujours
pas trouvé, Miou-Miou lui a dit : "Quand
même, essaie Patrick." On était tellement sûrs, l'un
et l'autre, que je n'étais pas le personnage, qu'on n'y pensait même
plus ! J'ai quand même passé les essais. Avec succès,
puisque le lendemain, il m'a téléphoné pour me dire :
"OK ! On y va !" J'étais vachement fier, tu parles !"
Le tournage s'avère difficile. L'austérité
du réalisateur s'oppose à l'exubérance des comédiens.
"Mon trio de jeunes acteurs s'identifiant par trop aux personnages du
film. Les trois se comportaient comme de véritables loubards, provocants,
bagarreurs, indisciplinés. J'avais beaucoup de peine à leur imposer
mon autorité. Ça tournait parfois au cauchemar." Le
matin, Blier apprend ce qui s'est passé la
nuit. "On me disait : "Il y a Dewaere
qui a roulé une pelle à un bouledogue." Ah bon, mais pourquoi ?
"Il avait bu trop de Porto flip."" Gérard
Depardieu le reconnaîtra des années plus tard : "On
ne dormait pas, on débarquait au petit matin sur le plateau avec des têtes
de noceurs, de débauchés. (â¦) C'était de la grande voyoucratie,
un mélange d'inconscience et d'insouciance. On piquait la DS et en avant
la corrida nocturne ! C'étaient de drôles de nuits. On avait
l'impression de travailler, d'étudier nos rôles, de répéter
pour le lendemain. Ben voyons !"
Bertrand Blier prend du retard sur le planning
et le budget gonfle, au grand dam des producteurs qui lui envoient des télégrammes
de menaces du genre, "Devant accélération de la consommation
de pellicule, envisageons arrêter le tournage". Mais il parvient
au bout du film et travaille au montage. Comme dans le roman, Les Valseuses
se termine sur la mort accidentelle des trois personnages, dont la voiture tombe
dans un ravin. Alors que les copies ne sont pas encore tirées, un distributeur
américain demande à voir le film. Enthousiasmé par la projection,
il décide de l'acheter pour les Etats-Unis (où il sera montré
sous le titre Going Places) mais à une condition :
la fin doit être changée, le trio doit rester en vie. "Ils
sont trop sympas !" Blier accepte
et modifie le montage, qui sera le même partout, évitant ainsi
une fin morale, qui aurait nui au film. "Finalement, sur le fond, il
avait raison", dira-t-il plus tard. Philippe Lombard [Sources : "LâExpress" du 8 avril 1974, "Combat" du 29 mars 1974, "Bertrand Blier" de Gaston Haustrate (Edilig, 1988), "Patrick Dewaere" de Véronique Lesueur (Hors collection, 1992), "Depardieu" de Paul Chutkow (Belfond, 1994), "Georges Lautner foutu fourbi" de José Louis Bocquet (La Sirène, 2000), "Une histoire de culte" de Cyril Olivier (Studio Canal, 2008)] |
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