En 1964, après les sorties coup sur coup des deux premiers
"Panthère Rose", Blake Edwards obtient
de la Warner Bros un énorme budget de trois millions de dollars pour
réaliser La Grande Course autour du monde, qu'il a coécrit
avec Arthur Ross. Cette folle histoire de course automobile
de 32.000 km reliant New York à Paris préfigure des films comme
Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines ou Gonflés
à bloc. "C'est le prolongement de mes autres comédies,
mais vous n'y trouverez cependant guère de points de comparaison. Il
est vrai que j'emploie le splastick, mais d'une manière que je n'avais
encore jamais utilisée. Ce style découle de la période
qui est celle du film : 1900. (â¦) C'est une sorte de dessin animé,
mais avec des personnages réels. Il y a dans ce film un humour qui était
déjà présent dans La Panthère Rose
et plus encore Quand l'inspecteur s'emmêle, mais
il arrive ici aux personnages des aventures insensées dont ils ne devraient
jamais sortir vivants. Bien entendu, on n'explique rien. Vous les retrouvez
sains et saufs et vous recommencez."
Le rôle du "Grand Leslie", sportif complet toujours
avide d'exploits, est confié à Tony Curtis,
qui collabora pour la quatrième fois avec Blake
Edwards. Pourtant, il n'a pas été choisi par ce dernier.
"Jack Warner avait déclaré qu'il ne ferait pas le film
sans moi, se souvient l'acteur. Robert Wagner et deux ou trois autres avaient
été pressentis pour mon rôle, mais Jack ne voulait absolument
pas le voir attribuer à Wagner ou John Derek, ou n'importe qui d'autre.
Pour lui, c'étaient des noms qui ne valaient pas tripette. Il lui fallait
TC." L'agent de Tony Curtis en profite pour
obtenir un cachet plus important. Burt Lancaster
est un temps approché pour interpréter le méchant professeur
Fate mais il décline la proposition. Il est alors remplacé par
Jack Lemmon qui retrouve ainsi son partenaire de Certains
l'aiment chaud. "Fate est cinglé, un psychotique, le super-méchant
de cartoon. Imaginez le pire acteur shakespearien qui soit, mais avec plus d'assurance
que Laurence Olivier."
Blake Edwards pense à Jane
Fonda pour le rôle de la suffragette désireuse de participer
à la course, mais elle part tourner Cat Ballou. Son
second choix, Lee Remick, est pris par des engagements
à Broadway. Natalie Wood est alors engagéeâ¦
contre son gré. Liée par contrat à la Warner, elle se doit
d'accepter le film si elle veut tourner Daisy Clover, qui nécessite
qu'on la "prête" à la Columbia. De plus, l'actrice suit
une analyse et partir à l'étranger pendant plusieurs mois ne la
ravit pas.
"Blake Edwards était
le metteur en scène, se souvient Tony Curtis,
mais aux premiers jours du tournage, il a quitté le plateau parce qu'il
n'aimait pas la façon dont Jack Warner le traitait. "Pas de problème,
a dit Jack, on arrête le film jusqu'à ce que j'aie trouvé
un autre metteur en scène." Blake a rappliqué sur le plateau
dès le lendemain, prêt à travailler." D'autres
problèmes vont survenir. Très vite, les relations de Blake
Edwards avec Natalie Wood se détériorent.
Mais si elle se comporte comme une diva, c'est en réalité une
manière de se venger de l'attitude du studio à son égard.
Tony Curtis n'est pas non plus très enthousiaste.
"Natalie ne pense qu'à sa carrière. Il y a eu un temps
où elle était chaleureuse et amicale. Aujourd'hui elle semble
s'être totalement repliée sur elle-même." Lorsque
Blake Edwards tourne la scène de la bataille
de tartes à la crème, il prend un malin plaisir à être
celui qui lui lance des projectiles pâtissiers pour les gros plansâ¦
Après les scènes d'intérieurs filmées à
Burbank, l'équipe s'envole en juin 1964 pour Paris, où Blake
Edwards doit notamment filmer la scène finale aux pieds de la Tour
Eiffel avec 1500 figurants. Le tournage se poursuit en Autriche. Hormis les
tensions avec Natalie Wood, l'ambiance est plutôt
bonne. Des billards sont mis à la disposition des acteurs et des tentes
sont montées pour abriter des mini-casinos où tout le monde joue
entre les prises. Mais le film prend du retard, Blake Edwards
ne tournant qu'une scène le matin et une autre l'après-midi. "Warner
semblait perpétuellement sur le point d'arrêter cette production
dont le coût était devenu exorbitant, explique Tony
Curtis. Parti d'un budget de trois millions de dollars, on a terminé
avec un budget quatre fois plus élevé. Personne ne semblait pouvoir
le contrôler. C'était comme une machine devenue folle poursuivant
sa course. On tournait à Paris, à Salzbourg, à Versailles
â une équipe gigantesque hébergée partout dans des hôtels
splendides."
La Grande Course autour du monde se termine en décembre avec
des semaines de retard. Sa carrière commerciale sera honorable mais peu
profitable à cause des dépassements de budget. "Ce film
était lourd, ni drôle ni équilibré. S'il n'a pas
résisté à l'épreuve du temps, c'est parce qu'il
n'avait rien d'authentique", conclue Tony Curtis
dans ses mémoires.
Philippe Lombard