Après le succès de La Guerre des polices
(1979), Robin Davis ne veut pas être catalogué
comme réalisateur de polars et refuse pendant deux ans toutes les propositions
de ce genre. Mais lorsque les producteurs Alain Sarde et Alain Terzian viennent
le voir pour lui demander de faire un film avec Alain Delon,
l'idée l'intéresse. Aucun sujet n'est encore prévu. Robin
Davis lance l'idée d'un Bonnie and Clyde français
et le nom de Catherine Deneuve arrive rapidement
sur la table. Le réalisateur lit alors toutes sortes de romans et tombe
sur "La position du tireur couché" de Jean-Patrick
Manchette. Il voit dans le personnage principal l'occasion de revisiter
le rôle habituel d'Alain Delon. "C'était
un type complètement déjanté qui vivait dans une cave,
mangeait des spaghettis froids, perpétuellement ivre-mort, impuissant,
avec un rapport nihiliste aux femmes, dans une histoire complètement
folle."
Robin Davis écrit une première version
dans ce sens et la lit aux producteurs et à la star. "À
la fin, la séquence est tombée : "Alain
Delon est un mythe. Un mythe ne mange pas de spaghettis froids dans une
cave."" Il inverse alors les polarités et l'anti-héros
devient un héros, un personnage classique du genre policier, le tueur
qui décide de raccrocher (un rôle déjà interprété
par l'acteur dans Big Guns de Duccio Tessari).
Dominique Robelet, Claude
Veillot, Alain Delon lui-même ainsi que
d'autres auteurs qui n'ont pas souhaité être crédités,
travaillent à l'adaptation. De son côté, Manchette
(déjà été adapté par Alain
Delon pour Trois hommes à abattre et Pour
la peau d'un flic) ne s'inquiète pas de la transposition de son
roman à l'écran : "Dès lors que Alain
Delon incarnait le héros du Choc, j'étais bien persuadé
que le personnage n'allait pas finir invalide et gâteux comme dans le
roman, et ça ne me gênait pas."
Le tournage se déroule au Maroc (pour la séquence
pré-générique), à Paris et dans le Finistère
(où se trouve l'usine de dindons). Le duo de stars s'appuie sur des acteurs
solides comme Stéphane Audran (étrangement
non créditée au générique), Philippe
Léotard, Jean-Louis Richard (dans
un rôle d'officier de la DST proche de celui qu'il incarnait dans Le
Professionnel), François Perrot
et Féodor Atkine (tous deux présents
dans Trois hommes à abattre).
Mais l'ambiance sur le plateau n'est pas au beau fixe, comme s'en souvient
Alain Delon : "Robin, qui est pour moi
un merveilleux technicien et un vrai metteur en scène, s'est retrouvé
littéralement paralysé en face de Catherine
Deneuve - qui était dans une période un peu particulière
et donc pas très disponible - et de Alain Delon.
Il avait quand même fait avant La Guerre des polices et il a fait
après J'ai épousé une ombre qui est un film superbe.
Le Choc, qui a été une catastrophe car Robin était
figé sur place par Catherine Deneuve et
par Alain Delon, est une sorte de parenthèseâ¦
Il disposait en outre d'un chef opérateur qui était aussi caméraman,
et qui avait une forte personnalité⦠Un plateau, c'est comme un bateau :
il faut un capitaine. Il faut, à un moment donné, qu'il y ait
quelqu'un qui décideâ¦" Le chef-op' en question est Pierre-William
Glenn (futur réalisateur de Terminus). C'est
d'ailleurs lui qui parlera du film dans un article de "Première"
et non Robin Davis⦠Il dira d'ailleurs à cette
occasion : "C'est un film qui a démarré trop vite
et dont la préparation n'a pas été suffisante."
Catherine Deneuve vit très
mal le tournage. "Je ne me suis pas bien entendue avec Robin
Davis. J'étais malheureuseâ¦" À tel point que Alain
Delon va devoir diriger lui-même les scènes où elle
apparaît. Un exercice dont il s'est déjà acquitté
à plusieurs reprises dans sa carrière (sur Les Granges brûlées,
par exemple). Pour l'actrice, le problème vient aussi de la nature du
film lui-même. "Je regrette énormément, parce que
j'aurais aimé vraiment jouer avec Alain autrement, on ne s'est pas rencontré
sur ce film. J'ai eu l'impression de m'être fait posséder, j'ai
essayé de faire marche arrière et je n'ai pas pu. Je le regrette
parce que je crois que c'est un couple qui aurait pu marcher mais ce n'est pas
l'histoire qu'on aurait dû tourner."
Le Choc sort sur les écrans le 28 avril 1982 et, malgré
une bonne presse, n'est vu que par 1 508 000 spectateurs (moins que
Le Gitan ou Pour la peau d'un flic).
Philippe Lombard