En 1966, le producteur français Raymond Eger (à 
  qui l'on doit Quai des Orfèvres, Sois belle et tais-toi 
  et Le Scandale), a l'idée de faire un film à sketches 
  inspirés d'Edgar Allan Poe . Roger 
  Corman a alors remis les adaptations du romancier à la mode avec 
  une série de huit films (parmi lesquels, déjà, une Åuvre 
  à sketches, L'Empire de la terreur en 1962). Les 
  cinéastes auxquels il pense sont légion et prestigieux : 
  Federico Fellini, Claude 
  Chabrol, Orson Welles, Roger 
  Vadim, Joseph Losey, Luchino 
  Visconti, Jean Renoir, Ingmar 
  Bergman, Luis Bunuel⦠Après de nombreuses 
  consultations des uns et des autres, il revient à un projet plus modeste 
  mais pas moins prestigieux. Il affirme à Federico 
  Fellini qu'il a déjà l'accord de Bergman 
  et Orson Welles. Le maestro, peu intéressé 
  par l'idée d'adapter Poe, est tout de même 
  attiré par le fait d'être associé aux deux autres cinéastes.
Welles a écrit un scénario de 57 pages, 
  en s'inspirant du "Masque de la mort rouge" (un prince s'enferme 
  dans son château avec ses amis pour échapper à la peste) 
  et de "La Barrique d'Amontillado" (une histoire de vengeance 
  où un homme âici, une femmeâ est enterré vivant derrière 
  un mur). Welles pense l'interpréter lui-même 
  et également faire appel à l'acteur anglais Charles 
  Gray (Les Vierges de Satan, Les diamants 
  sont éternels). Mais Welles ne parvient 
  pas à s'entendre avec le producteur et se retire du projet. Quand à 
  Bergman, c'était un pieux mensonge pour convaincre 
  Federico Fellini⦠Mais ce dernier, qui a des relations 
  houleuses avec le producteur Dino de Laurentiis sur la préparation du 
  Voyage de G. Pastorna, décide de rester, ne serait-ce que pour 
  changer d'air.
 Après avoir tenté en vain de convaincre Eger de 
  le laisser adapter une nouvelle de l'écrivain et scénariste Bernardino 
  Zapponi , il propose une version comique de "L'Enterrement prématuré" 
  avec Alberto Sordi. Mais Eger désire un sketch 
  dramatique. L'assistante de Fellini découvre 
  "Ne pariez jamais votre tête au diable", une nouvelle 
  publiée en 1841, dans laquelle un joueur invétéré 
  se fait décapiter lors d'un pari de trop. L'Italien ne lira la nouvelle 
  qu'après le tournage et se concentre avec Bernardino 
  Zapponi sur le personnage de Bobby Dammit, une star de cinéma décadente 
  qui accepte de venir tourner en Italie le "premier western catholique" 
  en échange d'une Ferrari⦠Il propose le rôle à Peter 
  O'Toole, qui refuse, avant de se rabattre sur Terence 
  Stamp, qui a encore les cheveux longs et blonds du western Blue. 
  Il va lui créer un look à mi-chemin entre Edgar 
  Poe lui-même (sans la moustache) et Chuck Berry.
 Fellini tourne une séquence 
  très coûteuse dans le village western des studios Elios à 
  Rome, avec des cascades et des fusillades orchestrées par les spécialistes 
  du genre. Mais lors de la projection de la première version du film, 
  Bernardino Zapponi réalise que la scène 
  est en complet décalage avec le reste et convainc Fellini 
  de la couper. Enthousiasmés par le montage final, Raymond Eger et le 
  coproducteur italien Alberto Grimaldi demandent à Fellini 
  un autre sketch. Le maestro pense à "Comment s'écrit un 
  article à la Blackwood", l'histoire d'une femme qui visite le 
  clocher d'une cathédrale et se trouve la tête coincée par 
  la grande aiguille de l'horloge, qui finira par la décapiter. Mais les 
  producteurs reviennent finalement sur leur idée.
 Eger propose à Alain Delon d'être 
  l'interprète de "William Wilson", la troublante histoire 
  d'un homme poursuivi toute sa vie par un homonyme qui est son penchant positif. 
  L'acteur demande à ce que Louis Malle en soit 
  le réalisateur. Celui-ci refuse à la lecture du scénario 
  avant de revenir sur sa décision après avoir lu la nouvelle de 
  Poe dont il pense pouvoir tirer quelque chose à 
  condition qu'il en écrive l'adaptation lui-même. Il crée 
  un personnage de femme contre lequel Wilson joue et triche aux cartes, et pense 
  à Florinda Bolkan, mais Eger suggère 
  Brigitte Bardot. Pensant qu'elle refusera, Malle 
  donne son accord au producteur. Mais en souvenir de Vie privée (tourné 
  en 1961), BB accepte. Il va alors faire son possible pour rendre l'actrice méconnaissable, 
  afin de ne pas casser l'effet dramatique.
 Les problèmes s'accumulent pour Louis 
  Malle. Après avoir fait les repérages dans la cité 
  médiévale de Bergame par temps de brume, ce qui promettait une 
  belle atmosphère fantastique, le tournage se déroule en plein 
  soleil sous un ciel bleu. Quant aux relations avec son acteur principal⦠"Pour 
  maintenir la tension sur le tournage, j'étais très aidé 
  par Alain Delon. Nos rapports n'ont pas été 
  bons. Delon est un excellent professionnel, ambitieux, 
  et consciencieux, mais il a un tempérament agressif, polémique. 
  Il aime la bagarre. Moi, je suis tout le contraire⦠j'ai besoin d'un état 
  de grâce. Le début a été désastreux. Puis, 
  j'ai eu une illumination. Ce personnage orgueilleux, tendu, en révolte 
  permanente, c'était exactement Wilson. Dès lors, j'ai modulé 
  le personnage, le rythme, le ton du film sur Alain Delon."
 Roger Vadim porte son choix sur "Metzengerstein", 
  une nouvelle publiée en 1832, qui évoque la querelle ancestrale 
  qui oppose deux familles nobles hongroises. Le dernier membre de la famille 
  Metzengerstein est un baron débauché et cruel qui a provoqué 
  la mort du comte Wilhem Berlifitzing, son ennemi, dans l'incendie de son château. 
  Aussitôt après, un mystérieux cheval apparaît et provoque 
  la perte du baron⦠Vadim va s'approprier le texte de 
  Poe pour en faire quelque chose de sulfureux, comme 
  à son habitude. Les quelques lignes évoquant la débauche 
  du baron prennent ici une énorme importance et le personnage est transformé 
  en femme, dont il confie l'interprétation à son épouse 
  Jane Fonda, qu'il vient de diriger dans Barbarella. 
  Elle tombe amoureuse de son cousin et néanmoins ennemi héréditaire⦠
  incarné par le propre frère de l'actrice, Peter 
  Fonda. "Il n'était pas du tout dans nos intentions d'exciter 
  quiconque de cette façon, expliquera Jane Fonda. 
  En tout cas, en Europe, personne ne l'a pris comme ça. Non pas que je 
  sois contre l'inceste, mais notre style est plus direct. Si cela nous tente 
  un jour, nous le vivrons très naturellement et laisserons les autres 
  s'exciter si ça leur chante. Accordez-nous au moins une qualité, 
  la sincérité."
 Le tournage se déroule de novembre à décembre 
  1967 en Bretagne. Vadim va mettre en valeur les châteaux 
  de la région : Fort La Latte (dans les Côtes d'Armor), où 
  a déjà été tourné Les Vikings 
  de Richard Fleischer va représenter le 
  château de la baronne ; celui de son cousin sera celui de Kerouzéré 
  (dans le Finistère) et la belle scène de la deuxième rencontre 
  des deux personnages se fera dans les ruines du Château de Kergournadeach. 
  Sur le plateau, Peter Fonda est en plein trip LSD et 
  profite des pauses pour écrire le scénario de Easy Rider, 
  qu'il tournera l'année suivante.
Histoires extraordinaires fait partie de la sélection du festival 
  de Cannes de 1968, mais n'y sera jamais présenté, car les "événements" 
  se sont invités sur la Croisette. Truffaut, 
  Godard, Lelouch, Berri, 
  Polanski, et même Louis 
  Malle prennent la tête des débats, reléguant la projection 
  des films à un rang tout à fait secondaireâ¦
Philippe Lombard