À la fin des années 50, après une succession
de films avec Jean Gabin, le réalisateur Gilles
Grangier et le scénariste-dialoguiste Michel Audiard
se demandent quel rôle le "Vieux" pourrait encore incarner.
"Il avait exercé à peu près tous les métiers,
raconte Grangier, de cheminot à médecin, d'avocat à gangster,
de légionnaire à banquier. Il avait même interprété
Ponce-Pilate dans un Golgotha d'illustre mémoire ! À
part Dieu le Père ou le pape, Audiard et moi nous perdions en conjectures.
Nous dînions un soir avenue Matignon, à la terrasse de notre
cher Elysée-Club, quand tout à coup Gabin
avisa un drôle de bonhomme, pouilleux mais digne, qui promenait une grappe
hétéroclite de six ou sept chiens au bout d'autant de ficelles.
Il nous le désigna :
-Vise le clodo. Belle composition.
Aucune réaction de notre part, nous en étions tout en haut
de l'échelle sociale : président de la République,
chef de la mafia, amiral⦠Ce n'est qu'à la fin du repas que
Gabin, qui nous avait écouté vaticiner sans mot dire, énonça :
-Moi, j'ai envie de jouer un clochard. Mais pas n'importe quel clochard,
un clochard philosophe, genre Diogène.
Aussi bête que ça. Et Jean, en quelques minutes, nous raconte
les grandes lignes d'un scénario qu'il avait tranquillement inventé
tandis que nous nous cassions la tête pour des prunes. Nous avions le
sujet. Le titre définitif fut trouvé sur la lancée :
Archimède le clochard. Et au générique, nous mentionnâmes
scrupuleusement : "D'après une idée originale de Jean
Moncorgé.""
Philippe Lombard