En mars 1958, alors que Frankenstein s'est échappé
vient de rencontrer le succès et que Le Cauchemar de Dracula
s'apprête à sortir sur les écrans, la maison de production
britannique Hammer Films annonce son intention de tourner une adaptation du
Chien des Baskerville (en remplacement d'un Dr Jekyll &
Mr Hyde, qui sera finalement réalisé en 1960). Le roman
de Arthur Conan Doyle (publié en 1901),
s'il n'est pas à proprement parler "fantastique", contient
une atmosphère angoissante et un monstre effrayant, qui permettent de
réaliser une adaptation dans cette lignée. Elle sera d'ailleurs
présentée à sa sortie comme "la plus terrifiante
aventure de Sherlock Holmes".
Peter Cushing, déjà interprète
du baron Frankenstein et du chasseur de vampires Van Helsing, obtient à
sa grande joie le rôle du détective. "Beaucoup de gens
m'avaient dit que je devrais jouer Holmes. Alors, quand on me l'a proposé,
j'ai été terriblement excité. C'est une opportunité
formidable que d'avoir à disposition tant de détails pour construire
son personnage." L'acteur se replonge ainsi dans l'Åuvre originale
(il possède une collection de "Strand Magazine" héritée
de son oncle) dont il extrait des éléments concernant les costumes,
les accessoires et le tempérament de Holmes. Il va même jusqu'à
apporter des modifications au décor de l'appartement du 221b Baker Street.
"Holmes a cette habitude de planter son couteau à cran d'arrêt
sur sa correspondance en attente de réponse posée sur la tablette
de la cheminée. Or, ce n'était pas dans le scénario et
j'ai dit âFaisons-le'. Ces petites choses sont importantes pour façonner
un personnage."
Devant la caméra de Terence Fisher,
Cushing campe un Sherlock vif et brillant, qui sait
aussi se montrer cassant et manipulateur, très proche en somme de la
création de Doyle . Watson est lui aussi,
pour une fois, ressemblant au portrait qu'il dresse de lui-même dans le
"canon" (les écrits de Doyle
mettant en scène le détective). Interprété par André
Morell, il n'est plus le partenaire pataud qu'on avait l'habitude de voir
(sous les traits de Nigel Bruce dans la série
avec Basil Rathbone, et qui sera si souvent repris,
de Meurtres par décret au Secret de
la pyramide). D'autres personnages sont modifiés (Stapleton et
Frankland, notamment), mais le scénario est dans l'ensemble assez fidèle
au roman.
"Jamais dans les rêves les plus délirants d'un cerveau
dérangé quelque chose de plus sauvage, de plus abominable, de
plus infernal n'aurait pu être conçu", écrit Watson
à propos de la bête. Dans la réalité, l'animal utilisé,
un Grand Danois nommé Colonel, est beaucoup moins terrifiant, ce qui
n'est pas sans poser problème. "Après avoir passé
six semaines sur le plateau, il s'était si bien acclimaté, répondant
aux caresses et aux morceaux de chocolat qu'on lui offrait, qu'il n'était
plus possible de le transformer en chien de l'enfer", raconte Christopher
Lee, interprète de Sir Henry Baskerville. Les membres de l'équipe
se mettent alors à lui faire subir toutes sortes de vexations et de mauvais
traitements, jusqu'à ce qu'il se mette à aboyer et à mordre
le bras de l'acteur ! Pour Lee, c'est une
épreuve de plus, lui qui a déjà dû subir la montée
d'une mygale sur son bras et son épaule (un épisode absent du
roman original). "Le réalisme de mon interprétation a
été unanimement salué" commentera-t-il avec humour.
Fisher tourne le film (premier Sherlock
Holmes en couleur) aux studios Bray, près de Londres, ainsi qu'en extérieurs
dans le Surrey, à Chobham Common et Frensham Ponds. Le décorateur
Bernard Robinson recycle quelques éléments de l'extérieur
du château du comte Dracula pour la façade du manoir des Baskerville.
Le Chien des Baskerville connaît un certain succès mais
c'est avec Christopher Lee que Terence
Fisher va récidiver en 1962 avec Sherlock Holmes
et le collier de la mort. Cushing reprendra
le rôle du "détective consultant non officiel" en 1968
dans une série de la BBC, qui comptera une nouvelle adaptation du
Chien des Baskervilleâ¦
Philippe Lombard