1991. Alors que la série des James Bond est interrompue
à cause d'un procès, United Artists décide de relancer
celle des Panthère Rose, malgré l'échec
des deux derniers films au box-office (A la recherche de la panthère
rose et L'Héritier de la panthère rose). Blake
Edwards se met à sa table de travail. L'idée n'est pas de
repartir à la recherche du célèbre diamant ni même
de Jacques Clouseau, définitivement disparu. Le cinéaste reprend
le concept de l'"héritier", qui est cette fois naturel. L'inspecteur
a eu, en effet, sans le savoir un fils de Maria Gambrelli (la bonne accusée
de meurtre dans Quand l'inspecteur s'emmêle, Jacques.
Lequel a marché sur ses traces, puisqu'il est policier.
Casting à l'italienne
Succéder à Peter Sellers n'est
pas une mince affaire, et Blake Edwards met du temps
à trouver l'oiseau rare. Il jette son dévolu sur Gérard
Depardieu, qui débute une carrière américaine, avant
de choisir l'italien Roberto Benigni. Le futur
"oscarisé" (pour La vie est belle) n'est pas encore
une vedette sur le plan international mais ses films ont remporté un
triomphe en Italie. Son rôle dans Down By Law de Jim
Jarmush convainc Blake Edwards de l'engager.
"Etre le fils de Clouseau" dira l'acteur, "est le plus
grand honneur qui puisse être fait à un homme."
Blake Edwards propose tout naturellement le rôle
de Maria Gambrelli à Elke Sommer, l'interprète
originale. "J'ai rencontré Blake" raconte-elle, "il
m'a donné le script. Mais je n'ai pas pu, vraiment pas pu. Je pense que
sans Peter, cela n'est rien. Je ne me serai pas sentie en communion avec le
film." Le personnage est alors officiellement destiné à
Sophia Loren (qui avait été pressentie
en 1964 pour le rôle), pour être finalement confié à
Claudia Cardinale, interprète de la Princesse
Dala dans La Panthère Rose, histoire de rester en
famille !
Henry Mancini compose bien évidemment la
musique et les habitués de la série rempilent : Herbert Lom (Dreyfus), Burt Kwouk (Cato),
Liz Smith (Marta Balls) et Graham
Stark (qui reprend le rôle d'Auguste Balls, quinze ans après
La Malédiction de la panthère rose). Seul
André Maranne, décédé
en 1989, est remplacé dans le rôle de François par Dermot
Crowley.
Tournage en famille
Le tournage est annoncé en fanfare en mai 1992 au Festival de Cannes,
qui rend d'ailleurs hommage à Blake Edwards,
en projetant neuf de ses films (dont deux Panthère rose). Prenant
la place traditionnelle de James Bond, l'affiche de Son of the Pink Panther
orne l'entrée du Carlton et une conférence de presse mémorable
est organisée avec le cinéaste et Roberto
Benigni. Fidèle à lui-même, l'acteur italien se déchaîne,
comme s'en souvient le journaliste Jean-Pierre Lavoignat : "Avec
la complicité d'un des serveurs, Benigni
pulvérise les plateaux, jette des peaux de bananes, fait voler les tartes
à la crème. Gag."
Sur la Côte d'Azur, Blake Edwards
est bien entendu venu en compagnie de son épouse Julie
Andrews. Une aubaine, selon le directeur de production Frédéric
Bovis. "Elle n'aurait pas été là, on aurait eu
beaucoup de mal. Blake Edwards est un monsieur très
caractériel. Quand il ne veut pas quelque chose, il ne veut pas !
Julie Andrews est son remède calmant. Elle
le connaît par cÅur, elle sait ce qu'il aime et ce qu'il n'aime pas."
Lorsque le cinéaste annonce qu'il veut séjourner dans une villa
au Cap d'Antibes, l'équipe de production n'est pas très enthousiaste.
Elle préfèrerait l'avoir "sous la main" (pour éviter
les pannes de réveil ou les demandes trop difficiles à satisfaire)
et propose de l'installer au Méridien de Nice, où 140 chambres
sont déjà retenues pour les techniciens et les acteurs. Julie
Andrews discute avec le directeur de l'hôtel de la possibilité
de réaménager la suite présidentielle selon les goûts
de son époux (moquette, meubles, etc.), qui va y demeurer pendant trois
mois. Les coûts sont partagés et l'affaire est conclue !
Sur ce film, le clan Edwards s'élargit avec la présence de ses
deux enfants, Jennifer et Jeffrey. La première incarne un des membres
du gang de kidnappeurs, après avoir déjà joué des
petits rôles dans plusieurs films de son père (SOB, L'Homme
à Femmes, Un sacré bordel). Quant à Jeffrey,
il est le directeur de seconde équipe, ce qui lui permet de réaliser
presque un tiers du film. Il avait débuté comme assistant-monteur
sur Elle, SOB et Victor/Victoria, et avait également
co-écrit les scénarios de A la recherche de la panthère
rose et de L'Héritier de la panthère rose.
Le "Clouseau Day"
Les prises de vues débutent le 8 juin aux studios de la Victorine,
à Nice, où Blake Edwards a déjà
tourné plusieurs Panthère rose. Les extérieurs sont
ensuite filmés dans la région pendant plusieurs semaines. Le 30
juin, le réalisateur tourne à Nice, boulevard Delfino, une scène
particulièrement surréaliste (qui sera écartée au
montage), puisqu'il s'agit du "Clouseau Day" : un jour de fête
nationale où tout le monde se déguise en Clouseau. Un cauchemar
pour le commissaire Dreyfus mais un bonheur pour les figurants, qui sont invités
par la production à faire preuve d'imagination. "Il ne s'agit
pas d'imiter Peter Sellers" explique alors
le producteur Tony Adams, "mais d'imaginer la tenue la plus conforme
à la logique particulière de l'inspecteur, spécialiste
infaillible du déguisement qui révèleâ¦".
Le tournage de cette séquence n'est pas seulement réservé
aux figurants professionnels mais est ouvert à tous les amateurs qui
voudront bien se prêter au jeu. Informé par Tony Adams, le quotidien
régional "Nice-Matin" annonce dans son édition du 26
juin qu'"afin d'"intéresser la partie", la production
a fait de la Fiat du film le lot unique qui récompensera le travestissement,
le comportement jugés les plus "clouseauiens" devant les caméras."
Branle-bas de combat pour le directeur de production, qui n'était pas
au courant, le véhicule n'ayant été que prêté
par le concessionnaire ! Il faut donc acheter la voiture en toute hâte
à Fiat.
Le jour venu, 700 figurants (pour 1300 candidatures) se pressent sur la place
Normandie-Niemen et ses alentours. Parmi eux, on compte 550 Clouseau, hommes,
femmes, jeunes, vieux ! Rien ne leur manque : ni le chapeau, ni la
moustache, ni l'imperméable (malgré la saison). Le gagnant, Frédéric
Garibaldi, non content de revêtir la panoplie complète de Clouseau,
s'est paré d'une auréole, d'une paire d'ailes et d'un panneau
"I am back". Il prendra possession du véhicule le 13 août
aux studios de la Victorine. "Jamais un figurant, ordinairement payé
sur la base d'un tarif variant de 400 à 700 francs la journée,
n'a touché un cachet d'une telle valeur pour une seule prestation devant
des caméras", constatera "Nice-Matin".
"Meilleur que Peter Sellers"
La collaboration entre Benigni et Edwards
se passe très bien. "J'ai toujours eu une chance incroyable avec
mes acteurs" reconnaît le réalisateur. "Dans ma carrière,
j'ai très souvent tourné avec quelqu'un que je n'avais pas pressenti
au départ. Et ça m'a toujours réussi ! Là,
j'avais choisi Depardieu et je me retrouve
avec Benigni. Il est sensationnel ! Il est
même physiquement meilleur que Peter Sellers.
Parce que c'est un mime : il perpétue la tradition des comédiens
du muet." Preuve en est : l'hilarante séquence où,
se faisant passer pour un médecin, il se plante malencontreusement une
seringue dans le bras et se saoule à l'alcool à 90°.
Lors du mariage final, Dreyfus apprend que Maria Gambrelli a
eu de Clouseau des jumeaux et que Jacques a une sÅur. Pour cette scène,
tournée à l'église Sainte-Dévote de Monaco, Roberto
Benigni donne la réplique à sa femme, Nicoletta Braschi
(sa partenaire dans la plupart des films qu'il a réalisés). "Clouseau
Junior l'enlace et la fait tournoyer dans les airs" écrit Vincent
Rémy, l'envoyé spécial de "Télérama".
"Scène mouvementée, difficile. Benigni
et Braschi tournent encore et encore. "Encore une fois, si possible !"
demande Blake Edwards. "Once more, ecco,
bien sûr, no problem, no problem." Sourire diabolique. Benigni
hausse les épaules, s'éponge le front et embrasse le ventre rebondi
du premier assistant."
L'acteur italien est particulièrement apprécié par toute
l'équipe, ce qui le met en confiance. La scène, où Jacques
Gambrelli arrive en vélo à l'hôpital et s'immobilise dans
une marre de ciment, devait être tournée par un cascadeur mais
Benigni a décidé de la faire lui-même.
A la fin de la prise, tous les techniciens l'ont applaudi, à sa grande
joie. " Il est dans la vie comme dans ses films "
affirme Frédéric Bovis. "On rigole, rien qu'à le
regarder ! Il est vraiment très pro, très à l'écoute
et très bon acteur." Les femmes qui travaillent sur le film
ont fait un sondage destiné à désigner l'homme qu'elles
souhaiteraient épouser, parmi tous ceux de l'équipe. Autant dire
que Roberto Benigni a remporté le plus grand
nombre de suffrages !
La robe de chambre de Claudia
Claudia Cardinale est beaucoup plus à
l'aise qu'à l'époque de Panthère Rose,
et se réjouit de retrouver Edwards, qu'elle
n'a pas revue depuis trente ans. "Il n'a pas changé. Il tourne
toujours à une vitesse incroyable. Lorsque Roberto a joué sa première
scène, il pensait que c'était un essai. Il n'a pas eu le temps
de se rendre compte de ce qui lui arrivait que c'était déjà
fini."
Lors de sa rencontre avec Dreyfus, Claudia Cardinale
doit porter une robe de chambre. Mais le vêtement n'est pas encore arrivé
sur le plateau et le tournage doit s'interrompre. Julie
Andrews propose aussitôt d'aller piocher dans sa garde-robe à
l'hôtel. "Elle est revenue un peu plus tard avec des robes de
chambre affreuses, pleines de volants, de petites fleurs, de dentelles"
se souvient l'actrice. "Le contraire de mon style : ce n'est
pas par hasard que j'ai choisi, depuis des années, un couturier qui est
le summum de la sobriété et de la simplicité. Je ne savais
comment refuser, sans blesser Julie, si gentille, et toujours prête à
apporter son aide. Mais j'ai eu un coup de génie : j'ai enfilé
la plus large et m'y suis faite toute petite, puis je suis allée voir
Blake. "Tu vois ? Ce n'est pas ma tailleâ¦", lui ai-je dit, et
il m'a répondu : "Incroyable, je ne pensais pas que vous étiez
aussi différentes, toi et Julie." J'en ai réchappé
ainsi !"
Le Fils de la panthère rose sort en août 1993 aux Etats-Unis
et connaît un véritable échec commercial. Il n'est pas distribué
en France (sauf en vidéo).
Philippe Lombard