Revenu à Hollywood après ses trois films italiens
avec Sergio Leone, Clint Eastwood
a tourné Pendez-les haut et court de Ted
Post et se voit maintenant proposer par Jennings Lang, le vice-président
d'Universal, le scénario de Un shérif à New York.
"Ce qui m'a particulièrement intéressé dans le
projet est ce personnage hors de son élément, explique l'acteur.
C'est un type qui travaille comme shérif dans une communauté rurale
de l'Arizona, va à New York et se trouve déplacé. Cela
m'a rappelé les vieux films que l'on voyait dans les années trente
ou quarante, peut-être pas exactement comme Monsieur Smith au Sénat,
des gens qui sont hors de leur élément, placés dans un
autre environnement et qui doivent agir."
Alex Segal, venu du théâtre et de la télévision,
est choisi pour le film et Eastwood s'entend plutôt
bien avec lui. Mais pour des raisons inconnues, le réalisateur se retire
du projet deux mois avant le tournage. La star propose le nom de Mark
Rydell, tandis que le studio ne jure que par Don Siegel.
Eastwood se fait alors projeter plusieurs de ses
films. "J'ai bien aimé la façon dont il travaillait. Il
était vraiment professionnel. Quand on m'a proposé de le rencontrer,
j'ai accepté." Siegel, qui a regardé
de son côté les films de Leone, s'accorde
bien avec l'acteur et donne son accord. Mais le scénario, sur lequel
ont travaillé Herman Miller, Roland
Kibbee et Jack Laird ne lui convient pas. Il propose
alors que Howard Rodman, le scénariste de
son dernier film Police sur la ville, le retravaille.
Rodman et Siegel
partent à New York pour être sur les lieux de l'action, ce qui,
aux yeux de beaucoup et notamment ceux d'Eastwood,
semble superflu. Vont ainsi être mis à la charge de la production
deux suites - une au Drake Hotel et une au Regency Hotel -, un appareil photo
à 600 dollars et une machine recouverte d'or véritable à
100 dollars. "Don aimait aller sur les lieux mêmes et tout organiser
en fonction de ceux-ci, rapporte Eastwood. C'est
ce qui se passa sur Un shérif à New York, mais Don se préoccupa
tellement de la géographie qu'il lui sacrifia l'histoire. À son
retour, on dut réécrire le script, ce que nous avons fait de concert."
Ciseaux et tube de colle en main, les deux hommes étalent sur le sol
les différentes versions du script et constituent le leur, en y ajoutant
quelques éléments de leur invention. Dean
Riesner (le futur scénariste de Un frisson dans
la nuit et L'Inspecteur Harry) passe derrière
afin d'uniformiser la chose.
Le tournage débute à New York en novembre 1967. Inquiet pour
le climat, Don Siegel va devoir se concentrer sur deux
acteurs qui lui posent problèmes. Lee J. Cobb,
qui joue le commissaire du 23ème district, le prévient
qu'il ne tournera pas sans un postiche sur le crâne. Siegel
tente de le raisonner, sans succès. Il lui affirme alors que le véritable
chef du commissariat, qu'il a rencontré pendant les repérages,
n'enlève jamais son chapeau, même dans son bureau. Cobb aime l'idée et accepte. Tisha Sterling, l'interprète
de la petite amie du prisonnier en cavale, décide brutalement de se retirer
du film. Siegel la prévient gentiment que le
retour de bâton de Universal risque d'être grave pour sa carrière,
mais elle s'obstine. Elle finit par avouer que ses défraiements lui ont
été volés dans sa chambre d'hôtel et que le directeur
de production refuse de les lui rembourser. De guerre lasse, Siegel
obtient qu'elle touche l'argent et tout revient dans l'ordreâ¦
En préparant la scène de poursuite finale, Don
Siegel apprend que l'acteur Don Stroud, ex-champion
de surf, n'est jamais monté sur une moto (à l'inverse de Eastwood).
Il faut donc l'entraîner car certains plans rapprochés nécessitent
de le voir. La scène est tournée dans le parc de Fort Tryon, près
du musée des Cloîtres, par un temps venteux et glacial (sur des
Triumph TR6 et T100 R Daytona). Siegel fait porter aux
cascadeurs des casques surmontés de caméras légères.
"Le miracle est de ne pas avoir eu de blessés. Il y a eu plein
de dérapages dangereux et de chutes effrayantes mais pas de sang. Je
croisai les doigts." Dès le lendemain, la neige tombe sur New
York. L'équipe se déplace alors dans le désert de Mojave,
censé représenter l'Arizona au début du film.
Le shérif Coogan doit arrêter un Navajo, meurtrier de sa femme,
lequel tire sur le pare-brise de sa Jeep. Pour obtenir le maximum d'effet, Siegel
veut utiliser de vraies munitions. Mais les techniciens tout comme les responsables
de la production s'y refusent, c'est la règle sur un plateau de cinéma.
Le réalisateur passe outre et demande l'aide d'un véritable shérif
qui tire avec joie deux coups de feu sur le pare-brise. Le plan restera dans
le film. Le matin suivant, un blizzard rend impossible toutes prises de vuesâ¦
L'équipe repart à New York, cette fois pour tourner les scènes
d'intérieurs dans un studio loué par Universal.
De retour en Californie, Don Siegel tourne
la scène où Coogan se rend dans une boite de nuit. Le décor
conçu par John McCarthy et John Austin est énorme et nécessite
d'occuper le plateau conçu à l'origine pour Le Fantôme de
l'opéra de Rupert Julian (1925). La production
engage 125 figurants⦠auxquels s'ajoutent 400 vrais hippies qui achèvent
de transformer la scène en véritable soirée psychédélique.
À noter que parmi les plans insérés de façon ultra-rapide,
pour augmenter l'aspect " trip ", figure l'araignée
géante de Tarantula de Jack
Arnold, film dans lequel Eastwood avait fait
ses débuts en 1955.
Jennings Lang suggère que Don Siegel rencontre
le compositeur Lalo Schifrin. Il "sent"
que les deux hommes sont faits pour s'entendre. "Il était un
peu comme ces entremetteurs qui savent mettre en présence les bonnes
personnes et organiser des mariages", explique Schifrin.
Sur Un shérif à New York, dit-il, "mon travail
de composition n'a pas été difficile. Du début à
la fin, c'était comme écrire pour un western et j'avais déjà
participé à des séries comme La Grande Caravane
ou La Grande Vallée. (â¦) Il était facile de souligner par
la musique le décalage du personnage et ses actions de cow-boy solitaire."
Il retravaillera à plusieurs reprises avec Don Siegel
dont deux films avec Clint Eastwood, L'Inspecteur
Harry et Les Proies.
Philippe Lombard