Né à Lausanne en 1948, Georges-Alain Vuille grandit
avec les films américains projetés au Colisée, le cinéma
dirigé par son père. À l'âge adulte, il reprend la
salle puis devient distributeur ; passionné, il veut gravir un échelon
supplémentaire. "Il n'est pas né pour rester "épicier
du cinéma", écrit Norbert Creutz dans le journal
"Le Temps". Mais les temps n'ont-ils pas changé depuis
ce vieil Hollywood qui le fascine tant ? Il n'en a cure et s'improvise
producteur en appliquant la vieille recette : acquisition des droits d'un
best-seller, engagement de stars et d'un metteur en scène. Le reste du
financement suivra." En 1978, il lance trois projets simultanément :
le drame intimiste Clair de femme de Costa-Gavras
d'après Romain Gary,
la fresque historique Tai-Pan d'après James
Clavell et le film d'aventures Ashanti d'après
Alberto Vázquez Figueroa.
Si le premier se monte sans peine, le deuxième nécessite un énorme
budget (Vuille veut Steve McQueen à qui il
propose dix millions de dollars) ; quant au troisième, c'est une
grosse production tournée au Kenya et en Israël. Pour cette histoire
d'un médecin anglais parti à la recherche de sa femme enlevée
par des trafiquants d'esclaves en Afrique, Vuille a réuni un casting
d'exception : Michael Caine, Peter
Ustinov, Omar Sharif, Rex
Harrison, Telly Savalas et Beverly
Todd (Kirk Douglas a également été
approché mais sans succès). Sous la houlette du réalisateur
Richard Sarafian (Point Limite Zéro),
le tournage débute le 24 avril 1978 au Kenya⦠pour s'interrompre une
semaine plus tard, le réalisateur et son producteur ne parvenant apparemment
pas à s'entendre (pour des raisons inconnues). Acteurs et techniciens
ont deux semaines de repos.
Georges-Alain Vuille convainc Richard
Fleischer de reprendre la barque. Le vétéran hollywoodien
n'est pas emballé par l'idée (il avait déjà remplacé
John Huston en 1972 sur Les Complices de la dernière
chance) mais le Suisse lui promet de lui confier la réalisation de
Tai-Pan. Et au festival de Cannes qui s'ouvre le 17 mai, de coûteux
emplacements sont loués à l'extérieur et à l'intérieur
du Carlton pour annoncer la prochaine adaptation du roman de Clavell
par le réalisateur des Vikings.
Fleischer profite de son séjour français
pour repenser Ashanti. "J'ai tout recommencé
à zéro." Beverly Todd est remplacée
par le mannequin Beverly Johnson, qui a récemment
fait ses débuts à l'écran. Telly Savalas
refuse de reprendre le rôle du pilote d'hélicoptère-mercenaire,
qui est proposé à William Holden.
L'acteur, qui vit une grande partie de l'année au Kenya, accepte ce tournage
de onze jours pour 250.000 dollars. Un gros problème se pose concernant
Omar Sharif, qui doit interpréter Malik, un
nomade qui emmène le médecin britannique à travers le désert.
Or, ses scènes, censées se dérouler en Afrique de l'Est,
doivent se tourner en Israël. Des groupes palestiniens menacent de mort
l'acteur égyptien s'il s'obstine à s'y rendre. "Je ne
pouvais pas courir le risque de me faire tuer par un fanatique. J'ai du refuser
le rôle qui m'aurait porté sur les rives du Jourdain. J'ai accepté
celui d'un prince auquel un négrier vend à un prix élevé
la très belle Beverly Johnson."
Les scènes (récrites par George
MacDonald Fraser, le scénariste de Tai-Pan) seront tournées
en septembre au palais de Seta (d'architecture mauresque) à Palerme.
Quant à Malik, il est finalement interprété par l'acteur
indien Kabir Bedi, alors très populaire grâce
à la série Sandokan.
Hormis le fait que Richard Fleischer
est contraint de retravailler le scénario au jour le jour, toute l'équipe
doit subir un mauvais choix de calendrier. En effet, le tournage se déroule
au Kenya pendant la saison des pluies et en Israël pendant l'été.
Dans les déserts du Neguev et du Sinaï, la température est
de 45°. "Nous étions obligés de nous arrêter de
travailler à deux heures de l'après-midi" explique le
cinéaste. "C'était comme vivre et travailler à
l'intérieur d'un sèche-cheveux" renchérit Michael
Caine, qui doit également faire face à d'autres problèmes.
"Travailler avec des enfants et des animaux est très difficile.
Et dans une scène, j'ai dû tourner avec les deux, des gamins et
des chameaux - en plein désert ! Pour moi, cela a été
la scène la plus difficile que j'ai jamais faite." Comme si
cela ne suffisait pas, Fleischer doit freiner
Peter Ustinov dans son interprétation du négrier
Suleiman. "Je sais bien, mes méchants sont toujours charmants
dans la vie comme au cinéma. Mais lui avait tendance à en faire
quelqu'un de trop rigolo. Je voulais qu'on rit mais aussi qu'on pleure !"
Le tournage s'achève en octobre, au grand soulagement de Fleischer.
"Ce fut pour moi uniquement un labeur, un pensum qu'il me fallait franchir
pour obtenir ce que je désirais avec la réalisation de Tai-Pan."
Mais le film ne se fit pas et Dino de Laurentiis récupérera les
droits cinq ans plus tard. Fleischer n'évoque
pas Ashanti dans ses mémoires et Michael
Caine en parle dans les siens comme du pire film de sa carrière.
Pourtant, malgré tous les problèmes rencontrés au cours
de la production, le film est un récit d'aventures très réussiâ¦
Philippe Lombard