À l'été 1960, Sean Flynn
accompagne son ami, l'acteur George Hamilton, à
Fort Lauderdale (Floride) où il tourne Ces Folles filles d'Eve,
un "film de plage", genre alors très populaire auprès
des jeunes. Fils d'Errol Flynn, Sean n'a jamais eu
l'ambition d'être acteur, même si tout le monde attend de lui qu'il
marche sur les traces de son père. Il obtient une figuration sur le film
puis intègre l'université de Duke, en Caroline du Nord.
De son côté, George Hamilton
a décidé de prendre en main le destin cinématographique
de son ami. Il prend des photos de lui et les donne à son propre agent,
Hy Seeger, qui les fait circuler. Le vieux briscard Harry Joe Brown a alors
une "brillante" idée : confier au fils d'Errol
Flynn le rôle du fils du Capitaine Blood. Producteur de la version
originale (réalisée par Michael Curtiz
en 1935), Brown se frotte les mains. Sean est athlétique, beau et ressemble
à son père. Il n'a quasiment pas d'expérience d'acteur
mais qu'importe !
Sean n'est bien sûr pas dupe des raisons qui le poussent à l'engager,
il s'attendait d'ailleurs à ce que cela arrive. Il accepte mais sans
véritable enthousiasme, comme il le confie à Sally Hobbs, une
de ses amies de Duke. "Je lui ai demandé s'il avait l'intention
de reprendre le registre dans lequel son père s'était cantonné,
et en gros il m'a répondu qu'il finirait par y venir tôt ou tard.
Il rendait hommage à son père d'une manière un peu à
l'ancienne, je pense. Précisément parce qu'il était son
père, Sean devait prendre sa vie au sérieux. Il devait faire honneur
à l'aura de la vie de son père, découvrir ses tenants et
aboutissants et essayer la même chose pour lui. Il ajouta qu'il ne saurait
pas si ça lui convenait tant qu'il n'aurait pas essayé."
Il prévoit déjà de se lasser du cinéma, de tenter
d'autres aventures et de finir par trouver un moyen "de se faire tuer".
Il quitte Duke définitivement en milieu d'année
et part pour Hollywood où il loge un temps chez George
Hamilton, sur Sunset Boulevard. Son agent veut attendre la signature du
contrat avant de rendre le projet public. Afin de rester discret, Sean fait
son premier "screen test" sous le pseudonyme de Steve French. L'essai
est concluant et le contrat se négocie à 1000 dollars la
semaine. Mais dans l'ombre, sa mère veille car pour elle, le coup est
rude. Lili Damita, une actrice française du muet divorcée d'Errol
Flynn en 1942, a tout fait pour éloigner son fils du milieu du
cinéma et le voilà en haut de l'affiche, qui plus est dans un
rôle créé par son ex-mari, et alors qu'il suit des études.
Elle charge un cabinet d'avocats de faire savoir à Seeger que Sean étant
encore mineur (il n'atteindra ses 21 ans qu'en 1962), elle ne donnera pas son
accord pour le contrat. L'agent convainc Lili de revenir sur sa décision
en lui faisant comprendre que Sean lui reprochera toute sa vie de lui avoir
ainsi mis des bâtons dans les roues. L'argument porte.
La nouvelle paraît finalement dans Time Magazine le 3 mars 1961
avant de faire le tour de la planète. L'annonce est trop belle pour que
les médias ne s'en emparent pas ; le fils d'une légende de
l'écran reprenant son rôle le plus célèbre, voilà
de quoi noircir du papier sans avoir besoin de faire preuve de trop d'imagination.
En France, Paris Match titre : "Errol
Flynn a de nouveau 20 ans". Sean entre dans une spirale dont
il ne pourra plus sortir. Il est célèbre à jamais, quoi
qu'il fasse. Life consacre plusieurs pages à sa préparation.
On le voit faire des essais de costumes, sauter de plusieurs mètres une
épée à la main, se balancer au bout d'une liane, s'entraîner
à la barre fixe et prendre des cours d'élocution un crayon dans
la bouche. Sur le papier, il semble parfait, même si son sourire éclatant
et sa jeunesse semblent en léger décalage avec le film rétro
qu'on veut lui faire tourner.
Le Capitaine Blood de 1935 s'était fait sans quitter
les studios de la Warner Bros, même pour les scènes en haute mer.
La version des années 60, elle, bénéficie d'un tournage
en extérieurs en Espagne, avec de vrais navires. Sur la Costa del Sol,
pourtant, Flynn déchante rapidement. Le "grand
film d'aventures en Eastmancolor et Dyaliscope" hollywoodien annoncé
se révèle être une coproduction italo-espagnole, comme il
s'en fait des dizaines à l'époque. Et personne ne fait grand cas
de son manque d'expérience. "Je me suis retrouvé en Espagne,
bombardé vedette alors que je n'avais jamais pris un cours d'art dramatique,
jamais affronté une caméra, avec un metteur en scène espagnol
(Tulio Demicheli)qui ne parlait ni
français ni anglais⦠Je crois que c'est mon sens de l'humour qui m'a
sauvéâ¦"
Les photos de plateau prises entre deux scènes montrent
un jeune homme épanoui, souriant, discutant avec ses partenaires ou jouant
avec des enfants. Sa maîtrise du français et de l'espagnol lui
est utile pour parler avec l'équipe. Un envoyé spécial
à Madrid, de la revue militaire américaine Stars and Stripes,
rapporte sa relative décontraction qui se traduit par une certaine ironie.
"Il ne se prend jamais trop au sérieux : âVous voyez cette porte
là-bas ? me dit-il. Cinquante hommes ne pourraient pas en venir à
bout, alors que moi dans le film, j'y arrive.'" Pour Sean, qui s'est
mis tout récemment à aimer le cinéma grâce aux 400
Coups de François Truffaut,
il est évident que ce film de pirates obsolète n'est pas satisfaisant.
Il prend malgré cela son travail au sérieux et se donne beaucoup
de mal pour être à la hauteur.
Harry Joe Brown vante les mérites de son poulain aux journalistes
et n'y va pas de main morte. "Sean sera une plus grande star que son
père. Les rushes sont formidables. J'ai prévu de faire deux autres
films avec lui l'année prochaine." Que vaut réellement
Sean Flynn en tant qu'acteur ? Le moins que l'on
puisse dire est qu'il présente bien. Ce grand gaillard musculeux a le
physique de l'emploi et n'a rien à envier sur ce plan à son
père. Il est très convaincant dans les scènes de duels
ou d'abordage mais son jeu est restreint, dû en partie à son manque
d'expérience. Et s'il a du charme, il n'a pas le charisme nécessaire
pour crever l'écran, trop jeune peut-être, trop lisse. Il est évident
aussi que la comparaison avec Errol est écrasante, surtout que les dialogues
y font constamment référence. Les "Tu ne le reconnais
pas ?" répondent aux "C'est bien le fils de Peter
Blood !".
Au printemps 1962, Sean Flynn s'installe à Paris
et fait connaissance avec la presse. Au Cleveland Bar, rue de Ponthieu, ou à
l'hôtel Raphaël, on se presse pour recueillir ses propos, voire ses
confessions. "J'ai songé à changer de nom mais comme on
l'aurait su⦠Il ne me reste qu'à espérer qu'en me voyant à
l'écran, les spectateurs oublieront Errol pour ne penser qu'à
Sean Flynn." Sean n'est pas impressionné
par tout ce remue-ménage médiatique. Il se sait vedette du jour,
voire d'un jour, et acteur par accident. Il déclare avec lucidité :
"Si en Europe, je ne parviens pas à faire oublier que je suis
le fils d'Errol Flynn, je ne ferai plus de cinéma.
Je serai coureur automobile ou marin. J'aime l'aventure et le danger."
Après quelques films, il deviendra guide de safari en Tanzanie, chassera
le tigre au Pakistan et trouvera une fin tragique en 1970 en tant que reporter-photographe
au Vietnamâ¦
Philippe Lombard