En 1996, le producteur Frank Mancuso Jr (la série des
Vendredi 13, La Mutante)
tombe sur le scénario de Ronin, écrit par un jeune auteur
de théâtre cinéphile et imaginatif, J.D.
Zeik. Cette histoire d'un groupe d'ex-agents secrets devenus mercenaires
(des "ronin", des samouraïs sans maîtres) engagés
pour retrouver une mallette entre Paris et la Côte d'Azur lui paraît
parfaite pour John Frankenheimer, passionné
à la fois par la France et par les poursuites en voitures (très
présentes dans le script). Le réalisateur de Grand Prix
et du Train pense à Robert de Niro
pour le rôle de Sam, un ancien de la CIA. L'acteur n'est pas disponible
mais après avoir rencontré Frankenheimer,
décide de faire le film.
La liste des acteurs français connus du public américain et capables
de porter un tel film à égalité avec Robert
de Niro étant limitée, le rôle de Vincent est proposé
à Christophe Lambert. Indisponible et
peu convaincu par le scénario, l'ex-Greystoke décline
l'offre. De Niro pense alors à Jean
Réno, qui est en train de tourner Godzilla
de Roland Emmerich. Mais le Français n'est
pas non plus emballé par le script. Il faut dire que l'histoire abonde
en références cinématographiques et en scènes d'action
stylisées, chorégraphiées à la manière de
John Woo. Un style qui, à la réflexion,
semble "hors de propos" à Mancuso. L'auteur-réalisateur
David Mamet est alors engagé pour effectuer
quelques retouches. "L'histoire est demeurée pratiquement identique,
explique Frankenheimer, la structure générale
n'a pas changé. Les plus grosses différences résident dans
les dialogues." Et quels dialogues ! Les conversations entre Sam
et Vincent, pleines de non-dits, suffisent à séduire leurs interprètes.
"Inutile de vous dire qu'avec un casting principal De Niro / Réno,
plus besoin d'aller frapper aux portes ! raconte le producteur. Tout le
monde voulait un rôle dans le film." Sean Bean,
Jonathan Pryce, Natascha
McElhone et Sellan Skarsgard complètent
la distribution, ainsi que plusieurs acteurs français comme Michael
Lonsdale, Feodor Atkine, Amidou
et Bernard Bloch. Le tournage débute en France
en novembre 1997 avec une équipe majoritairement "locale",
parmi laquelle le chef opérateur Robert Fraisse, dont Frankenheimer
a apprécié le travail sur un téléfilm de HBO, Citizen
X. "Dans l'absolu, je crois qu'il aurait aimé tourner
le film en noir et blanc. En tout cas, il voulait très peu de couleurs
et surtout que cela ressemble à du reportage. C'est pourquoi la moitié
du film a été tournée au Steadicam et que nous avons beaucoup
utilisé les objectifs grand angle." Lorsque la production se
déplacera à Nice, Fraisse utilisera la technique du développement
"grain fin" qui diminue le contraste et désature les couleurs,
donnant ainsi une image inhabituelle de la ville.
John Frankenheimer a "l'ambition démesurée
de créer des poursuites qui constitueraient une nouvelle référence
pour les autres réalisateurs ! (rires) Pour y parvenir, il était
nécessaire de convaincre le studio et le producteur de me donner beaucoup
de temps et d'argent. Et ils ont accepté de mettre à ma disposition
de tels moyens." En effet, la production ne lésine pas. Chaque
scène d'action est couverte par six ou sept caméras, des rues
et des tronçons d'autoroute sont bloquées par la Préfecture
de Paris, une centaine de véhicules sont parfois impliquées⦠Rémy
Julienne, qui a travaillé avec Frankenheimer
sur French Connection 2, est chargé des nombreuses
cascades de Ronin, mais après quelques jours de tournage, il est
remercié pour des raisons qui ne sont pas encore élucidéesâ¦
Il est remplacé au pied levé par Jean-Claude Lagniez, pilote de
courses qui a débuté dans la cascade avec⦠Julienne ! Sa
société "Ciné Cascade" a alors travaillé
majoritairement pour des films hexagonaux comme Le Cousin, Profil
bas et Le Jaguar.
L'une des scènes les plus spectaculaires est la poursuite
sur une autoroute à contresens. "Nous avons tourné pendant
une semaine sur une autoroute désaffectée de Nanterre, explique
Lagniez. 150 voitures roulaient dans un sens et 120 dans l'autre - les deux
véhicules de la poursuite se faufilaient à contresens. Pour gérer
un tel nombre de véhicules, nous avons mis en place des circuits en boucle,
afin que les conducteurs ne soient pas obligés de faire machine arrière
avant chaque prise. Nous avons d'abord répété l'action
à vitesse réduite. Puis, une fois la " chorégraphie "
bien au point, nous avons filmé à vitesse réelle. Les 120
voitures à gauche étaient conduites par des pilotes de course.
Elle roulaient environ à 80 km/h et devaient éviter les deux voitures
à contresens. Celles-ci atteignaient des pointes de 160 km/h."
Pour rendre les scènes encore plus réalistes, les acteurs sont
mis à contribution, mais sans risques pour eux. "Soit ils tenaient
un faux volant sur un faux tableau de bord, les commandes réelles étant
prises à droites par un pilote hors champ. Soit leur voiture n'était
pas en marche, mais simplement tractée par un autre véhicule,
sur lequel d'ailleurs se trouvait souvent la caméra. Dans les deux cas,
les comédiens étaient tout de même lancés à
vive allure."
Un incident judiciaire et médiatique va quelque peu perturber
la bonne marche du tournage. Le lundi 10 février au matin, après
une longue nuit de prises de vues au Zénith (où se déroule
la fin du film), Robert de Niro est réveillé
dans sa suite de l'hôtel Bristol par six policiers, venus sur commission
rogatoire d'un juge. Ce dernier veut l'entendre sur son implication dans un
réseau de prostitution. Les circonstances de son interpellation, l'inflexibilité
- voire l'hostilité - du juge, l'innocence clamée haut et fort
par le principal intéressé, tout cela fait peser un lourd climat
sur la production.
Peu de temps avant la sortie du film, une dispute éclate entre la MGM,
la Writers Guild of America et David Mamet, ce dernier
refusant que le nom de Zeik soit au-dessus du sien, eu égard à
l'importance de son apport. Mais rien n'y fait et le scénariste demande
à ce que nom soit retiré du générique ou qu'un pseudonyme
soit utilisé. Ronin est finalement signé J.D.
Zeik et Richard Weiszâ¦
Philippe Lombard