Captain America, créé en 1941 par le scénariste
Joe Simon et le dessinateur Jack Kirby pour Marvel, a fait l'objet d'un serial,
d'une adaptation pirate turque et de deux téléfilms, lorsque Menahem
Golan en acquiert les droits d'adaptation pour sa société de production
Cannon au milieu des années 80. Le film est annoncé en 1985, sur
un scénario de James R. Silke (écrivain-maison :
Sahara, American Warriorâ¦) et une réalisation
de Michael Winner (alors en pleine période
Cannon). Mais l'affaire traîne en longueur et un nouveau scénario
est écrit par Stephen Tolkin. Le réalisateur
Albert Pyun (L'Epée sauvage,
Cyborg), fan du personnage depuis l'enfance, se procure
le script qui l'emballe au plus haut point. "Une des choses que j'ai
particulièrement appréciées était comment Steve
Rogers restait le même chétif, même après l'expérience.
Il découvrait au final que le vrai super héros était à
l'intérieur de lui et qu'il y avait toujours été. C'était
un super soldat même sans le sérum parce que son héroïsme
et son courage ne lui ont jamais été administrés par une
drogue."
Lorsque Golan quitte la Cannon pour la 21st Century Film Corporation en 1989,
Pyun le convainc de garder les droits avec lui. Mais
l'option va bientôt prendre fin si un film n'est pas mis immédiatement
en production. Le producteur israélien donne son accord. La première
idée de Pyunest de confier le rôle-titre
à deux acteurs, l'un incarnant le Steve Rogers de faible constitution,
l'autre après sa transformation en Captain America. Pour ce dernier,
il pense à un footballeur américain, l'impressionnant Howie Long.
Mais Marvel et Stan Lee tiennent à un seul et même acteur ;
ils n'ont d'ailleurs pas cette seule exigence. "Je n'aimais pas trop
le look bleu de Captain America dans les premiers tests, raconte Puyn, j'ai
donc insisté pour utiliser l'uniforme noir ou, au moins, pour modifier
le costume mais, de nouveau, j'ai essuyé un refus. Menahem était
formidable. Il me soutenait sur tout ce que je voulais faire, mais je pense
que Marvel détestait l'idée qu'il fasse le film, alors ils n'ont
rien facilité."
Matt Salinger (fils du romancier J.D.
Salinger) est choisi après une audition pour interpréter le rôle.
Il est ravi car il lit le comic book depuis l'âge de neuf ans, et rejoint
un casting conséquent en Yougoslavie (censée représenter
l'Italie) : Ronny Cox, Ned Beatty,
Darren McGavin et Scott Paulin
(dans le rôle du méchant Red Skull, qui nécessite chaque
jour six heures de maquillage). "Sans rien ôter à Matt,
raconte Ronny Cox il n'est simplement pas
bâti comme les gars qu'on a fait venir pour le doubler. Ignacio Carreño,
le cascadeur espagnol du film, est le meilleur cascadeur du monde pour sa taille ;
il est musclé, grand, et il peut réaliser des acrobaties comme
personne. Il a fait tous les sauts acrobatiques. Un autre cascadeur, un Anglais,
avait une allure formidable dans le costume - il a un physique incroyable. Ce
qui fait qu'à chaque fois qu'Albert voulait un Captain America de belle
allure dans un plan éloigné, il l'utilisait. Un troisième
gars était chargé des cascades aériennes."
Lorsque le tournage débute, le budget n'est pas encore complet. Le producteur
Tom Karnowski s'absente parfois en Bulgarie et en Hongrie à la recherche
de fonds, mais revient souvent bredouille. Le budget en définitive ne
dépassera pas les trois millions de dollars, ce qui ne permet pas de
tourner dans de bonnes conditions ni la totalité du scénario.
"Seule la scène en Italie où le garçon est kidnappé
a pu être filmée de manière satisfaisante, explique Albert
Puyn. Le reste du film fut une série de compromis, faute d'argent."
Mais pour Matt Salinger, interprète de Captain
America, les problèmes venaient moins de Marvel que de Menahem Golan.
"J'ai écrit à Stan Lee, quand il est devenu clair que la
compagnie était sur le point de mettre fin à la production. Je
n'étais pas certain des droits ou du pouvoir qu'il avait, mais je l'ai
supplié de faire ce qu'il pouvait avec Menahem pour au moins finir le
script tel qu'il avait été écrit ; mais s'il a essayé,
il n'a pas réussi."
Le film est amputé de trente minutes et n'est finalement
pas exploité en salles aux Etats-Unis ; il l'est d'ailleurs assez
peu à l'étranger et sort généralement directement
en vidéo. En 2011, alors que le personnage fait l'objet d'une superproduction
réalisée par Joe Johnston avec Chris
Evans, Albert Pyun propose un Director's Cut :
"Dans ce montage, le personnage de Steve Rogers est plus nuancé
et n'est pas aussi heureux de devenir un super soldat. Il se sent utilisé
par le gouvernement, comme un simple instrument de propagande. Je ne saurais
dire si mon Captain America est un meilleur film, mais en tout cas il est plus
étrange et plus subversif."
Philippe Lombard