En juillet 1966, René Clément
tourne Paris brûle-t-il ?. Parmi les nombreux acteurs présents
au générique se trouve Alain Delon, qu'il
a dirigé dans Plein soleil, Quelle joie
de vivre et Les Félins. "Je n'ai aucune idée
de ce qui a pu se passer entre eux lors de (leurs) tournages, raconte l'assistant
[PER-Michel+Wyn" target="_top">Michel Wyn, mais une chose est
sûre : il y a un contentieux. (â¦) Tous deux vont entretenir pendant
tout le film, des rapports qui ressemblent à ceux d'un couple divorcé (â¦)
et tous les coups sont permis."
Lors d'une scène se déroulant à la Préfecture de
Police (reconstituée au studio de Saint-Maurice), Alain
Delon et Jean-Paul Belmondo se retrouvent
pour la première fois ensemble sur un même plateau depuis Sois
belle et tais-toi (1958).
"Ils ont été impossibles ! Chahutant à tout
propos ; chacun voulant en faire plus que l'autre ; relayés
par Daniel Gélin et Michel
Piccoli qui n'étaient pas des manchots quand il s'agissait
de faire les zouaves. Une classe de quatrième - que dis-je une maternelle
- à l'heure de la récréation, sous le préau, un
jour de pluie. Des sales gosses ! René
Clément, aidé de tous les techniciens, s'est épuisé
à boucler le tournage de la journée, au prix de plusieurs heures
supplémentaires. Sur le "Coupez !" final, il s'est esquivé
sans dire un mot, mais non sans un regard sur Alain qui en disait long :
"Tu ne perds rien pour attendre !" Contre Belmondo,
il ne pouvait rien : c'était son dernier jour de tournage."
Le vendredi suivant, Clément
doit tourner une scène importante où Jacques Chaban-Delmas (Delon)
parle devant les membres du Conseil National de la Résistance.
"Alain Delon, comme beaucoup d'acteurs jouant
alors exclusivement au cinéma, apprend son texte au dernier moment :
les plans sont en général courts, les répétitions
sont assez nombreuses pour se mettre les dialogues en bouche, les metteurs en
scène sont indulgents pour les vedettes et on peut recommencer si on
se trompe. Clément arrive donc
le matin, d'excellente humeur. Il jubile. Nous comprenons qu'il va régler
ses comptes. Il me fait installer, dans le décor pourtant exigu de l'appartement,
la grue, comme il sait brillamment le faire ; et m'annonce : "Plan
séquence ! Va dire à Alain qu'on tourne la scène d'une
seule traite ! Qu'il apprenne son texteâ¦"
Alain n'est pas encore dans sa loge et, manque de chance (lui qui est très
souvent en avance) il arrive seulement pilepoil à l'heure. Son habilleuse
lui fait la commission. Il se plonge dans son texte au maquillage. Un texte
long, diabolique, très difficile à mémoriser. La grue est
prête, le décor est éclairé ; Clément
envoie chercher Delon. Et on répèteâ¦
une fois⦠deux fois⦠trois fois⦠Alain butte constamment sur son texte. Les
autres connaissent parfaitement le leur, plus court, et qu'ils ont, en professionnels
du théâtre, appris depuis longtemps. "Ça va pas Alain ?
C'était mieux l'autre jour à la Préfecture, non ?"
Silence. On recommence. Nouvelle panne de texte. "Je vois bien ce que
c'est. Ce sont les répétitions qui te troublent. On tourne direct,
ça ira mieux !" Dix-neuf prises. Toutes interrompues pour cause
de texte. Alain Delon est livide, les larmes aux yeux.
Arrive Georges Beaume, son agent, prévenu en catastrophe. Il calme le
jeu et obtient de Clément que
le tournage de la scène soit reporté au lundi.
Lundi matin, dès mon arrivée, je m'organise pour faire placer
la grue comme le vendredi. Clément
arrive à son tour et : "La grue ? Plus de grue !
J'ai réfléchi⦠!" Alain Delon
apparaît. Il a passé son week-end sur le texte, et le sait au rasoir.
"Tu vois, Alain, finalement, j'ai abandonné cette idée de
plan séquence. Ce sera beaucoup mieux découpé." Et
il tourne la scène réplique par réplique ; presque
phrase par phrase, en plans fixes. Alain avait appris son texte dans la continuité
pour des nèfles⦠René Clément
lui a fait payer la factureâ¦"
Philippe Lombard