Les premiers westerns européens sont allemands. Dès 1962, la Rialto produit LE TRESOR DU LAC D'ARGENT, premier d'une longue série à succès avec le personnage de l'Indien Winnetou imaginé par le romancier Karl May. L'acteur Götz George en tourne lui-même trois et s'en échappe en 1964 pour jouer dans SIE NANNTEN IHN GRINGO de Roy Rowland. Sur le plateau en Espagne, il est rejoint par Sieghardt Rupp, qui arrive de Rome, où il a terminé les intérieurs d'un obscur petit western italien, POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS.

«Nous avons bu un coup, se souvient George, et il m'a parlé du tournage. Il a commencé à s'énerver : "Un film atroce, horrible et un acteur principal effroyable. Le metteur en scène se promène toujours sur le tournage avec son visage brûlé par le soleil. Et puis il y a cet Américain qui traîne toujours avec ses haltères et soulève des poids. Je les déteste. Eastwood, c'est son nom, a seulement deux visages : un avec chapeau, un sans chapeau ! Imagine un peu, on tourne toujours la même scène, Clint Eastwood entre dans le saloon et Leone crie : «No, no, Clinton, Molto Actione, Molto Actione !» Et l'autre répond tranquillement : «OK je réessaie» Alors il sort, rentre à nouveau et son visage est aussi vide d'expression qu'avant. «Stop !» crie Leone et ça repart de plus belle. Je deviens fou quand j'assiste à ça ! Avec quelles personnes est-on obligé de travailler dans ce métier ? Il doit montrer une expression et son visage reste impassible ! J'arrête, je ne veux pas assister à un tel spectacle." Sieghardt était vraiment effondré. Il avait une formation théâtrale, c'était un comédien consciencieux et cette façon de jouer minimale lui était totalement étrangère.

Quelques mois plus tard, il m'appela tout excité : «C'est devenu un film magnifique ! Je retire tout ce que j'ai dit, je ne comprends plus rien à ce métier ! Le film est fantastique et Clint Eastwood est génial, tu dois absolument le voir !» J'allais bien sûr au cinéma et je fus fasciné. C'était une vision complètement différente du western, racontée, mise en scène et jouée tout à fait autrement que nos adaptations de Karl May [Ndla : la série des WINNETOU]. Les acteurs allemands qui jouaient dans POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS en faisaient trop, nous avons tendance à en faire trop. En revanche, Clint Eastwood avec son minimalisme était grandiose.»

Philippe Lombard