Le Limier (1972)
Posté le 2013-02-25 02:08:58

En 1970, Anthony Quayle et Keith Baxter triomphent au St. Martin's Theatre de Londres dans la pièce d'Anthony Schaffer, Sleuth (présentée à Paris sous le titre Jeu, set et match avec Pierre Fresnay et Henry Garcin). Un face-à-face tendu entre un auteur de romans policiers, amateurs de chausse-trappes, et l'amant de sa femme. Après LE REPTILE, un western tourné dans le parc national Joshua Tree, Joseph L. Mankiewicz souhaite adapter ce huis-clos à l'écran. «Ce qui m'a fasciné dans la pièce, c'est de voir à quel point elle était reliée à mon thème préféré, que l'on trouve dans presque tout ce que j'écris, que ce soit EVE ou CHAINES CONJUGALES : la vie faisant irruption dans nos fantasmes personnels. C'est ainsi que nous vivons, nous tentons d'ajuster la vie à nos fantasmes. Ce qui me fascine, c'est l'idée du jeu, le jeu à l'intérieur du jeu, et le fait que nous jouons si longtemps que, finalement, c'est le jeu qui se joue de nous.»

Un autre élément intéresse le cinéaste : captiver le public avec seulement deux personnages dans un lieu unique. Le décor a donc une importance capitale et Ken Adam (célèbre pour les films de James Bond et DR FOLAMOUR) est chargé de concevoir le manoir victorien du romancier Andrew Wykes. Il cherche tout d'abord une véritable demeure, qu'il finit par trouver à Athelhampton, près de Dorchester. «Elle appartenait au député Robert Cooke et avait un grand oriel et des arbustes taillés. Je pensais pouvoir y construire le labyrinthe. Et les extérieurs me permettaient d'imaginer tout ce que je voulais pour les intérieurs. Cela serait vraisemblable.» Mankiewicz demande à ce que les décors soient communicants entre eux, afin que les personnages puissent passer d'une pièce à l'autre dans le même mouvement de caméra. Adam parsème la maison d'automates trouvés chez une collectionneuse de Harrogate dans le Yorkshire mais fait construire par son département Jolly Jack, le marin rieur.

Anthony Schaffer suggère qu'Anthony Quayle reprenne son rôle et qu'il donne la réplique à Alan Bates. Mais ce dernier refuse et Mankiewicz pense à Laurence Olivier et Michael Caine (qui étaient tous deux au générique de LA BATAILLE D'ANGLETERRE sans jouer ensemble). Le choix de ce dernier pousse le cinéaste à modifier le personnage de Milo Tindle. «Dans la pièce originale, il n'était pas cockney, il dirigeait une agence de voyage et il était à moitié juif, à moitié italien. J'ai préféré en faire un coiffeur, c'est-à-dire quelqu'un qui avait monté l'échelle sociale en forniquant, car la coiffure est propice à cela.»

A peine sorti de L'OR SE BARRE et de LA LOI DU MILIEU, Michael Caine est alors au sommet de sa carrière. Tourner avec Laurence Olivier est pour lui un grand honneur mais il sait aussi qu'il devra être à la hauteur. De plus, l'acteur shakespearien ayant été fait pair du royaume deux ans plus tôt, il conviendrait de l'appeler «My Lord»... Pressentant le malaise de son partenaire, Olivier lui écrit une lettre où il lui demande de l'appeler tout simplement Larry. Les deux hommes se rencontrent aux studios Pinewood pour des répétitions dans les décors mêmes du film. Cette première journée est marquée par la contrariété de Laurence Olivier, qui n'a visiblement pas en main son personnage. Avant de quitter le studio, il assure à Mankiewicz qu'il lui présentera une très bonne idée le lendemain matin. «Depuis l'époque hollywoodienne de mes vingt-quatre ans, j'ai toujours eu recours à cette panacée infaillible pour me faire une petite beauté : une moustache à la Ronald Colman que je me colle à la rigueur sous le nez quand je n'ai pas le temps de me la faire pousser ; j'apparus le lendemain dans cet appareil, et le choc de la métamorphose fit tout le tour du studio.» Il avoue au réalisateur qu'il ne peut pas jouer avec son vrai visage et qu'il a besoin de se déguiser...

Michael Caine réalise que son partenaire joue plus «théâtre» que «cinéma» dans sa façon de se déplacer et surtout, qu'il fait en sorte d'être toujours le mieux placé. Il demande même à Mankiewicz de couper des répliques de Caine quand celles-ci interfèrent avec ses mouvements. Le cinéaste donne un conseil à Caine : «La prochaine fois que cela arrive, tourne immédiatement le dos à la caméra et je viendrai de l'autre côté par-dessus son épaule pour faire un gros plan de toi.» La technique fonctionne. Après la scène où Wykes tire à blanc sur un Tindle terrifié, Olivier raccompagne Caine à sa loge et, le prenant par l'épaule, lui souffle à l'oreille : «Quand nous avons commencé le film, je vous voyais comme un très habile assistant. Je sais que j'ai maintenant un partenaire.»

L'une des caractéristiques de Michael Caine est d'avoir toujours conservé son accent «cockney» (des faubourgs) et Mankiewicz décide d'en jouer. «J'ai essayé de lui faire utiliser son accent comme un violoniste se sert de son violon. Il prend puis abandonne sans cesse son accent de gentleman. Michael, qui entre dans le labyrinthe au début avec son accent de gentleman, n'est plus, au moment de son meurtre supposé, qu'un cockney hystérique qui pleure et sanglote, et qui a abandonné toute prétention à être un gentleman ou à parler comme tel. Pendant tout le film, selon les tensions de la situation, je lui ai fait contrôler ou non son accent. C'était très drôle.»

Pour tromper le spectateur, Mankiewicz ajoute au générique d'ouverture le nom d'Alec Cawthorne, censé interpréter l'inspecteur Doppler (en réalité joué par Milo Tindle, déguisé pour tromper Andrew Wykes), ainsi que John Matthews, Eve Channing et Teddy Martin. «Jusqu'à la sortie, j'ai dû mener une campagne terrible contre les propriétaires du film pour qu'ils ne l'amputent pas de scènes entières, pour qu'ils n'imposent pas un entracte...» Son obstination s'avère payante car LE LIMIER remporte un grand succès commercial et Olivier et Caine sont nominés aux Oscars.

Philippe Lombard

[Sources : «Confessions d'un acteur» de Laurence Olivier (Buchet-Chastel, 1984), «Passeport pour Hollywood» de Michel Ciment (Seuil, 1987), «What's it all about ?» de Michael Caine (Arrow, 1992), «Mankiewicz» de Pascal Mérigau (Denoël, 1993), «Ken Adam, the art of production design» de Christopher Frayling (Faber & Faber, 2005)]

Titre Original :
SLEUTH

Titre français :
LIMIER, LE

Année : 1972

Nationalité : Etats-Unis / Angleterre

Réalisé par :
Joseph L. Mankiewicz

Ecrit par :
Anthony Shaffer

Musique de :
John Addison

Interprété par :
Laurence Olivier & Michael Caine


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