Fin 1954, François Truffaut et Claude Chabrol se rendent aux studios de Saint-Maurice pour interviewer Alfred Hitchcock pour «Les Cahiers du cinéma». Le cinéaste est alors en post-synchro de LA MAIN AU COLLET, qu'il vient de tourner sur la Côte d'Azur. Les deux cinéphiles pénètrent dans le studio d'enregistrement et, dans l'obscurité, regardent avec émotion une quinzaine de fois une « boucle » montrant dans un canot Brigitte Auber et Cary Grant.
«Hitchcock nous voit, se souvient Chabrol, et il nous dit : « Je travaille, attendez-moi de l'autre côté de la cour, dans le bar. » On sort, on se dirige vers le bar, on parle. François, c'était la première fois qu'il voyait Hitchcock, il était complètement bouleversé. » A tel point que les deux amis ne voient pas sur quoi ils vont marcher, comme l'explique Truffaut: «Le bitume était gris, et puis on avance vers un petit rebord. On pense que c'est un rebord qui fait partie du bitume, on enjambe ce rebord et on se retrouve dans un bassin gelé. La glace casse d'un seul coup ! Le bassin était incurvé, on se retrouve vraiment avec de l'eau jusqu'à la poitrine.» Chabrol n'a rien oublié : «On était complètement frigorifié, on a eu du mal à sortir parce que le bassin était en pente. On poussait des cris. Hitchcock est arrivé, il s'est mis à rigoler, on nous a aidé à nous tirer de là . On nous a donné des couvertures, on est allé se réchauffer dans des loges. On nous a demandé si on était de la « Chnouf », parce qu'on tournait RAZZIA SUR LA CHNOUF en même temps. Et puis, finalement, on a bousillé le magnétophone en essayant de le faire sécher à la prise de courant. Bien entendu, le magnétophone explose, enfin c'était une catastrophe ! (rires) »
L'interview est reportée au lendemain soir. Cet incident crée des liens avec le «Maître du Suspens» qui, quand il les retrouve à chacune de ses escapades parisiennes, leur dit : «Je pense à vous à chaque fois que je vois des glaçons dans un verre de whisky !»
Philippe Lombard