Les Tontons flingueurs (1963)
Posté le 2013-09-09 14:11:52

Début 1962, Michel Audiard propose à Alain Poiré de la Gaumont d'adapter un roman de son ami Albert Simonin, Grisbi or not grisbi. Il s'agit du troisième livre mettant en scène le personnage de Max-le-menteur après Touchez pas au grisbi et Le cave se rebiffe, tous deux adaptés avec succès au cinéma avec Jean Gabin. C'est donc tout naturellement à ce dernier qu'est proposé le film. Mais le "Vieux" est brouillé avec Audiard depuis Mélodie en sous-sol (dont il n'a pas apprécié le scénario, déséquilibré au profit de Delon). Officiellement, il refuse de faire le film car le jeune réalisateur Georges Lautner veut imposer son équipe, ce qui le priverait de ses techniciens habituels. L'acteur part tourner Maigret voit rouge de Gilles Grangier.

Audiard pense alors à Lino Ventura, qui n'est pourtant pas très à l'aise à l'idée de tourner une comédie. " Je ne ferai rire personne " est sa première réaction... Dans la presse, on affirme qu'il prétend ainsi prendre la succession de Gabin. En effet, il va tourner à la suite 100 000 dollars au soleil et Les Tontons flingueurs, tous deux dialogués par Audiard alors que Gabin a prévu d'enchaîner des films écrits par Pascal Jardin. "Je refuse qu'on se serve de mon nom pour écrire de telles inepties, s'insurge l'acteur. Je n'ai jamais eu la prétention de "copier" ou de "remplacer" Jean. Et il n'y a de rivalité de ma part à son encontre que dans l'esprit rétréci des petits crétins qui profitent d'une coïncidence (car c'en est une si mes deux prochains films sont d'Audiard) pour essayer de créer une polémique "dégueulasse" !"

Le roman d'origine décrit la guerre de succession entre les frères Volfoni et Max-le-menteur, après la mort de Fernand le " Mexicain ". Albert Simonin, Michel Audiard et Georges Lautner reprennent le point de départ mais inventent une nièce et écartent Max au profit d'un certain Fernand Naudin. " L'écriture était d'autant plus facile que nous avions déjà les acteurs, explique Lautner . Lino Ventura, Francis Blanche, Bernard Blier et Jean Lefebvre étaient déjà engagés alors que nous n'avions même pas fini d'écrire le scénario ! " Mais à la Gaumont, on se montre circonspect. Il n'y a pas d'énormes vedettes et le sujet ne fera assurément rire personne. Jean-Claude Sussfeld, fils du directeur des productions Robert Sussfeld, raconte que "la Gaumont avait l'habitude de signer aux comédiens et metteurs en scène qu'elle employait, des options pour plusieurs autres films restant à définir. (...) Loin d'être emballé par le sujet, Alain Poiré, pour ne pas perdre ses options, décida à contrecœur la mise en production du film. Au milieu de la préparation, mon père, responsable de la gestion financière, alla trouver Alain Poiré dans son bureau. Partageant le doute de son producteur, il lui suggéra de tout arrêter pendant qu'il était encore temps. Après réflexion, Poiré décida de continuer."

Le tournage des Tontons flingueurs (un temps titré Le Terminus des prétentieux) débute le 8 avril 1963 à Saint-Nom-la-Bretèche. Bernard Blier connaît bien Ventura pour partager régulièrement aec lui des repas homériques, mais il n'est pas rassuré à l'idée de recevoir un coup de poing, même de cinéma, de sa part. "J'ai la trouille qu'il me file une vraie châtaigne ! Il l'a déjà fait deux fois, tu sais !" confie-t-il à Mac Ronay (l'interprète de Bastien, le porte-flingue des Volfoni). "Je l'ai rassuré : "Te bile pas, il a dû répéter !", mais cela ne l'a pas empêché d'aller voir Lino et de lui lancer en plaisantant : "J'te préviens, j'me laisserai pas faire !"" S'il épargne Blier, Ventura frôle de très près le cascadeur Henri Cogan. "Sans faire exprès, il m'a touché le menton ! On ne le voit pas à l'écran mais j'ai dit : "Oh ! Elle est arrivée, la belle bleue !", et Lino m'a répondu en souriant : "C'est pour ma jambe !" Ensuite, je suis passé à travers le mur.. " C'est en effet à Cogan qu'il doit l'arrêt de sa carrière de catcheur après une mauvaise blessure sur le ring...

La plupart des intérieurs sont tournés aux studios d'Epinay-sur-Seine, mais la maison du " Mexicain " est bien réelle. Cette demeure de Reuil-Malmaison est louée à l'année par la Gaumont. C'est donc là que se trouve la fameuse cuisine... "Elle devait faire 2 mètres sur 3, et encore, raconte Lautner . Pas de recul. C'est pour ça qu'il n'y a pas de mouvements de caméra. Il y avait les acteurs entre la table et le mur, et de l'autre côté de la table, il y avait nous. On me demande souvent s'il y avait beaucoup d'improvisation, si les acteurs buvaient vraiment... On a tourné plusieurs jours pour cette scène de la cuisine. Il n'était pas question de picoler. C'était une concentration très dure. Tout était écrit et on devait tourner très vite." Pour détendre l'atmosphère, les partenaires de Jean Lefebvre s'amusent à lui faire une farce, en mettant dans son verre un mélange de cognac, de whisky, de poire et même de poivre ! Ce qui explique ses larmes...

En post-production, plusieurs acteurs sont doublés : Venantino Venantini (par Charles Millot), Sabine Sinjen (par Valérie Lagrange), Charles Régnier (par Michel Dupleix) et Mac Ronay (par André Weber). Un travail est ensuite fait sur le bruitage des armes. "Nous avions fait divers essais pour trouver un son particulier, explique Lautner . Avec la bouche, ou encore un pistolet à bouchon... puis, grâce à un copain qui faisait de la plongée, on a trouvé la solution, dans ma baignoire, en déformant un bruit d'air comprimé", qui est monté à l'envers. Enfin, la musique est confiée à Michel Magne (alors que Georges Delerue était initialement prévu). " Il m'a déclaré : "J'ai un concept : bâtir la partition sur les quatre notes du bourdon de Notre-Dame !" se souvient Lautner . Sur le moment, je me suis dit : "Tiens, j'ai trouvé plus paresseux que moi !" C'était une solution cossarde mais efficace : prendre un seul thème et le décliner en baroque, swing, twist, etc. Le travail de Magne sur Les Tontons flingueurs, c'est un gros gag. Mais comme le film fonctionne au second degré, sa musique ne dépareille pas. Quand Blier se prend un bourre-pif, l'effet de répétition du thème - piano et banjo - accentue formidablement le comique, à la façon d'un gimmick de dessin animé."

Malgré les réticences de la Gaumont, le film sera le troisième succès français de l'année 1963, après La Cuisine au beurre et Mélodie en sous-sol.

Philippe Lombard

[Sources : Ciné Télé Revue, n°3 (1963), Le Monde du 29 janvier 2001, Télé Obs Cinéma n°1986, " Georges Lautner foutu fourbi " de José-Louis Bocquet (La Sirène, 2000), " De clap en clap : une vie de cinéma " de Jean-Claude Sussfeld (L'Harmattan, 2011), Livret du CD Les Tontons flingueurs (Universal, 2002)]

Titre Original :
TONTONS FLINGUEURS, LES

Année : 1963

Nationalité : France / Allemagne de l'Ouest / Italie

Réalisé par :
Georges Lautner

Ecrit par :
Michel Audiard, Georges Lautner & Albert Simonin

Musique de :
Michel Magne

Interprété par :
Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche, Claude Rich, Pierre Bertin, Robert Dalban, Jean Lefebvre, Horst Frank, Charles Regnier, Mac Ronay, Venantino Venantini, Sabine Sinjen, Jacques Dumesnil, Yves Arcanel, Philippe Castelli & Paul Meurisse


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LES TONTONS FLINGUEURS - Poster


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