En mars 1965, John Wayne est à Los Angeles pour discuter de sa participation à une Åuvre humanitaire. Entre deux réunions, il se promène sur le campus voisin de la University of Southern California où des étudiants manifestent contre la guerre du Vietnam. Il les voit alors s'en prendre verbalement à un Marine en uniforme, qui a perdu un bras dans ce conflit. La situation le choque en tant que «patriote» et son sang ne fait qu'un tour. Il décide de réagir et fait acheter par sa société Batjac les droits d'adaptation d'un livre très documenté de Robin Moore, «The Green Berets».
Il prévient cependant son auteur qu'il n'est pas du tout sûr de pouvoir mener le projet à bien. Il faut en effet la collaboration du Departement of Defense pour fournir toute l'infrastructure militaire (hélicoptères, camions, hommes, etc.). Seulement voilà , le livre n'a pas plu aux autorités, car il décrit les méthodes employées sur le terrain par les forces spéciales : corruption, torture, violation des lois internationales, utilisation de la pègre locale... Wayne prend alors son téléphone et appelle tout simplement Lyndon Johnson. «J'ai dit au Président que je sentais qu'il était important que le peuple des Ãtats-Unis et ceux du monde entier comprennent pourquoi il était nécessaire pour les Américains d'être au Vietnam. Et j'ai eu le soutien du gouvernement pour faire le film. »
Malgré cela, et contrairement à ce qui est dit dans la presse, rien n'est fourni gracieusement au producteur John Wayne, qui doit payer pour tout. De plus, le Pentagone exige de donner son accord sur le scénario. Or, la première version écrite par James Lee Barrett (LA PLUS GRANDE HISTOIRE JAMAIS CONTEE, BANDOLERO) est refusée. «La première objection avait à voir avec l'attaque massive de la base américaine par les Vietcongs, explique le scénariste. Les officiels voulaient que les Sud-Vietnamiens aident à défendre le camp, ce qui a été facilement rectifié. Ils n'aimaient pas non plus la deuxième partie de l'histoire, dans laquelle une équipe des Forces Spéciales enlève un général nord-vietnamien et fait sauter des ponts pour couvrir leur retour. Le Pentagone a dit que les Bérets Verts n'envahiraient pas le Nord-Vietnam. J'ai donc réécrit la deuxième partie et les Bérets Verts enlevaient un général vietcong qui se trouvait au Sud-Vietnam. »
John Wayne accepte tous les changements sans broncher et obtient l'accord de la Warner pour réaliser le film lui-même. Mais au bout de quelques jours de tournage (qui a lieu à partir de décembre 1967 à Fort Benning, une base militaire située dans l'état de Géorgie), un problème se pose. «John Wayne ne connaissait vraiment rien à la réalisation, explique l'acteur Luke Askew. Mervyn Le Roy est venu sauver le film parce qu'autrement, cela aurait pris trois ans à John. » Le Roy a déjà dirigé le «Duke» dans SANS RESERVE en 1946 et accepte de venir en aide à son ami. «Quand je suis arrivé à Fort Benning, John et moi avons eu une longue conversation et avons établi précisément en quoi je pouvais l'aider. Puis, j'ai pris les choses en main et j'ai assisté le Duke à la réalisation chaque fois qu'il avait besoin de moi. Mais les quelques semaines prévues se sont transformées en cinq mois et demi.»
Cependant, si l'apport de Mervyn Le Roy est important sur les scènes d'action nécessitant une grande organisation, il l'est beaucoup moins sur les scènes de pure comédie, comme le rapporte l'acteur David Janssen : «J'observais Mervyn Le Roy s'approcher du Duke et lui faire des suggestions que je ne pouvais pas entendre. Le Duke hochait la tête mais je voyais bien qu'il n'y prêtait pas attention, et ensuite il faisait la scène comme bon lui semblait.»
Si l'acteur-réalisateur-producteur voit LES BERETS VERTS comme une Åuvre de propagande, la Warner, elle, entend bien sortir un film de guerre, ni plus ni moins. Et décide de couper toutes les scènes avec Vera Miles, qui jouait la femme du colonel Kirby joué par John Wayne. Sorti en juillet 1968, le film remporte un énorme succès aux Ãtats-Unis, ce qui ne sera pas le cas dans le reste du monde...
LES BERETS VERTS est distribué en France à la fin juillet 1969, alors qu'à Paris se déroule la Conférence qui doit mener à des accords de paix au Vietnam. «Les Bérets verts doivent être interdits» titre L'Humanité. Le secrétaire général du Parti Communiste, Georges Marchais, adresse une lettre ouverte au premier ministre Jacques Chaban-Delmas, lui demandant de faire cesser l'exploitation du film, qui «fait l'apologie des forces spéciales américaines dont l'action est présentée sous l'angle «humanitaire» et au service de la «liberté». Or, chacun sait que le demi-million de troupes américaines (â¦) transforme le Sud-Vietnam en ruines, tuant enfants, femmes, vieillards, emprisonnant et torturant des centaines de milliers de Vietnamiens à qui l'on reproche de lutter pour l'indépendance de leur patrie et la liberté. (â¦) Il est inadmissible que le gouvernement français tolère une telle provocation sans renier ses déclarations sur sa volonté de contribuer à mettre fin au conflit vietnamien.» Matignon ne donnera pas de suites à cette affaire mais à Tarbes, Sète, Bordeaux ou Caen, LES BERETS VERTS est interdit de projection, soit par l'action de la CGT, soit par des arrêtés municipaux de maires communistes.
[à noter que Mervyn Le Roy n'a pas voulu être crédité comme co-réalisateur et que John Wayne partage cette fonction au générique avec un certain Ray Kellogg, auteur de THE GIANT GILA MONSTER, sans que personne jusqu'à aujourd'hui ne comprenne pourquoi...]
Philippe Lombard