Lino Ventura, tendre et sensuel
Posté le 2013-10-10 02:00:13

1978. Sur le tournage de L'Homme en colère au Canada, Claude Pinoteau se fait du soucis pour une scène. En effet, Lino Ventura doit embrasser Angie Dickinson sur un quai de gare. Or, il est de notoriété publique que l'acteur n'embrasse pas ses partenaires à l'écran, par pudeur et aussi par respect pour ses enfants. Mais la scène est indispensable au scénario et Pinoteau argumente auprès de Ventura qui finit par céder. Le jour-dit, la star prévient qu'elle ne fera qu'une prise !

«Après de nombreuses répétitions techniques, le moment fatidique arriva. Imprudemment, je crus bon de recommander une dernière fois à Lino un baiser voluptueux, un vrai baiser de cinéma, un baiser d'homme viril ! Je pensais qu'en en rajoutant j'obtiendrais un minimum acceptable. C'était une première. Après tant de films chastes, Lino allait enfin embrasser une femme sur la bouche. Suspense sur le plateau ! Photographes à l'affût !

«Moteur !» Tension monstre. «Action !»

Tout se passait bien : travelling coulé, les acteurs parfaits. Dernier dialogue devant la porte ouverte du wagon, sonnerie du départ du train. Lino saisit alors Angie brutalement dans ses bras et l'embrassa sur la bouche avec une telle ardeur virile qu'Angie fut un instant à la lisière de l'asphyxie ! Après mon «Coupez !», elle reprit son souffle. Enfin, émerveillée, elle se mit à hurler à la cantonade : «Lino kissed me ! Lino kissed me !» L'équipe applaudit l'exploit.

J'étais le seul à ne pas se réjouir : le baiser était démesuré, trop soudain. Un quasi-viol bucal ! Me sentant contrarié, Lino m'interrogeait du regard en s'essuyant la bouche avec un Kleenex. Inquiet, il s'avança vers moi. «C'était ce que tu voulais ? Non ? dit-il. Me demande pas d'en faire plus !» Non. Il fallait en faire moins ! Hypocrite, je lui expliquai que c'était parfait, mais qu'il faudrait assurer une autre prise avec un baiser au début plus tendre, progressivement sensuel, laissant à Angie une chance de participer. On choisirait la meilleure prise au montage.

Lino eut une expression de stupeur, puis de fatalisme résigné. Il fallait prendre le risque d'une seconde épreuve. Quel métier ! (Tous les techniciens rêvaient d'embrasser Angie !) Lino qui était le courage fait homme renâclait devant l'offense renouvelée à ses principes.»

Après une deuxième prise ratée par la perte d'équilibre de Ventura sur le marche-pied, «la troisième fut la bonne et Lino parut tendre et sensuel grâce à la participation active d'Angie.»

Philippe Lombard

[Sources : «Merci la vie !» de Claude Pinoteau (Le Cherche-Midi, 2005)]

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