En 1964, la MGM propose à Henri Verneuil
un somptueux contrat pour trois films. La firme au lion rugissant a en effet
apprécié les quelques millions de dollars récoltés
par Mélodie en sous-sol avec Jean
Gabin et Alain Delon. Au cours d'un grand cocktail
avec la presse, le président remet à Verneuil
un exemplaire de Caravanes de James Michener, un roman d'aventures,
qui est alors un best-seller aux Etats-Unis. Lui demandant s'il est bien d'origine
arménienne, le cinéaste confirme. "Alors, vous allez être
à l'aise dans cette affaire, et ce sera votre plus grand succès",
lui dit-il. Or, l'histoire se déroule en Afghanistan ! Au lendemain
de la seconde guerre mondiale, un membre de l'ambassade américaine de
Kaboul est chargé de retrouver une Américaine disparue dans le
pays treize mois plus tôt.
De retour à son hôtel, Henri
Verneuil déchante en lisant le livre. L'histoire est, selon lui,
digne d'un livret d'opérette. Mais comment expliquer à la MGM
que ce roman, dont les droits ont été achetés 500.000 dollars,
ne peut faire qu'un mauvais film ? Il décide alors de se rendre
en Afghanistan pour étudier le pays et les conditions de tournage, tout
en réservant sa réponse pour son retour. Le scénariste
François Boyer, l'assistant-réalisateur Claude
Pinoteau (qui a déjà fait cinq films avec Verneuil),
un producteur américain délégué par la MGM et un
directeur de production anglais sont également de l'expédition
(et c'en est une, en 1964).
"Ce fut le plus beau voyage de ma vie, racontera Verneuil.
Je parcourais le pays du Nord au Sud, rencontrais toutes les couches de cette
société primitive, essayais de comprendre l'âme afghane.
Pendant les longues nuits, dans la vallée de Bamyan, j'écrivis
avec mon ami François Boyer, un scénario tout à fait différent.
Mais je gardai le titre du livre." Après avoir visité
les lacs de Bandia Mir, Kunduz et Mazar-e-Charif, l'équipe repart par
Khyber et Peshawar afin de prendre l'avion à Karachi. À la fin
du séjour, la décision est prise de renoncer à ce film.
"Ces conditions inhospitalières exigeraient une logistique ruineuse,
des risques sanitaires majeurs et des mesures dispendieuses de sécurité
et de salubrité pour l'équipe" écrit Claude
Pinoteau.
Henri Verneuil donne une autre version : "J'écrivis
à la MGM un long rapport sur le pays et le livre où je démontrais
que l'auteur avait écrit une histoire sur l'Afghanistan sans connaître
l'Afghanistan, pour des Américains qui n'en connaissaient pas davantage.
Je concluais qu'il n'y avait qu'un moyen de réaliser ce projet, c'était
de le faire chanter, mais que j'étais très peu doué pour
les comédies musicales. Le livre fut alors discrètement
proposé au réalisateur de Docteur Jivago, David
Lean, qui le refusa tout net. Il n'était pas, bien sûr,
question de tourner mon scénario. Payer un demi million de dollars un
livre pour ne conserver que le titre, c'était impensable pour la compagnie.
Le projet fut abandonné."
Caravanes fut finalement réalisé en Iran en 1978 par James Fargo avec Anthony Quinn et Christopher Lee.
Philippe Lombard