Lorsqu'il devient producteur en 1955, Kirk
Douglas est alors un des premiers acteurs hollywoodiens à franchir
le pas. Avec sa compagnie Bryna (d'après le prénom de sa mère),
il lance des projets audacieux comme Les Sentiers de la gloire de Stanley
Kubrick. En 1957, il achète les droits d'un roman de Edison Marshall,
Les Vikings, et en confie l'adaptation à Dale
Wasserman et Calder Willingham.
Pour lui, le film doit être un western transposé
au temps des Vikings. Mais pas question d'en faire une aventure de carton-pâte,
les prises de vues auront lieu en Norvège et l'authenticité sera
de mise. "Je demandais à des experts norvégiens, suédois
et danois de me donner un aperçu historique exact de la période
viking, la dimension des bateaux, la façon dont étaient construites
les maisons et les tavernes à hydromel, etc. " Il choisit
comme réalisateur Richard Fleischer (avec
qui il a tourné 20 000 lieues sous les mers
en 1954), qui consulte de son côté le directeur du musée
viking à Oslo, le chef du département historique à l'UCLA
ou la bibliothèque du British Museum. "Mais les experts n'étaient
pas d'accord entre eux, et je dus moi-même trancher" raconte
Kirk Douglas.
Pour qu'ils s'imprègnent de l'ambiance scandinave du film, Douglas
emmène les acteurs principaux (Tony Curtis ,
Janet Leigh et Ernest Borgnine)
dans un voyage au Danemark, en Suède et enfin en Norvège. Le tournage
débute en avril 1957 près de Bergen, où un village des
plus authentiques a été reconstitué et où la figuration
a été engagée parmi la population locale. Des rameurs sont
recrutés dans les clubs d'avirons de la région afin de conduire
les drakkars. Ceux-ci s'amusent à tester Ernest
Borgnine à son arrivée en lui demandant de venir ramer avec
eux. Ils ignorent qu'il a passé dix ans dans la Marine ! Au vu de
sa technique et de sa parfaite synchronisation avec eux, les rameurs vont éprouver
le plus grand respect à son égard et le lui témoigneront.
Kirk Douglas prouve lui aussi ses aptitudes
physiques. "Dick Fleischer m'annonça
un jour que je pourrais prendre une journée de repos : il allait
tourner une cascade. Mon personnage devait se livrer à une vieille tradition
viking : ils se soûlent sur le navire, puis coincent les longues
rames dans leurs tolets et courent ainsi sur les rames alignées à
l'horizontale. Tout le monde me disait que je n'arriverais pas à le faire.
Il ne m'en fallait pas plus. "Je vais le faire !" Je les observai
d'abord, remarquant qu'il fallait acquérir un certain rythme pour sauter
ainsi de rame en rame. Si l'on ralentit, on a toutes les chances de perdre l'équilibre
et de se retrouver dans les eaux glacées du fjord. Je fis moi-même
la cascade et ne glissai qu'une fois. Délibérément. Après
tout, mon personnage était censé être ivre."
Jerry Bresler est chargé de mener à bien la production au jour
le jour et se retrouve à gérer toutes sortes de problèmes,
comme s'en souvient Tony Curtis : "Un
jour il a voulu louer un cheval, mais quand le type a découvert que c'était
pour Kirk, il a doublé ses prix. Furieux, Jerry a refusé de payer.
Alors le bonhomme a coupé l'eau de toute la production. J'imagine qu'il
avait le monopole des chevaux et aussi du service des eaux... On
avait besoin de loups dans le film, mais ceux qu'on a reçus se sont montrés
un peu trop féroces. Alors Jerry s'est procuré des bergers allemands
qu'on a dû teindre en noir. " L'acteur se souvient également
que Kirk Douglas devait parfois jouer les réalisateurs
car Richard Fleischer "a vite été
absorbé par tous les problèmes de production."
Mais la difficulté principale sur le tournage est le mauvais
temps. "Un jour, au milieu d'un groupe d'acteurs, raconte Douglas,
j'observai un beau ciel ensoleillé tournant à l'orage ; c'est
une situation exaspérante pour un producteur. À l'un des Norvégiens
qui jouait dans le film, je demandai : "Il pleut donc toujours en
Norvège ?" " Je ne sais pas, me répondit-il,
je n'ai que dix-huit ans." " Le tournage à Bergen
va durer plusieurs mois en raison du climat. Mais un jour, alors que l'ambiance
avec les Norvégiens est excellente, ces derniers se mettent en grève
pour obtenir plus d'argent. Furieux et blessé, Kirk
Douglas décide de continuer le film aux studios de Munich. La séquence
finale sera filmée en France au château de Fort-la-Latte dans les
Côtes-d'Armor, où Tony Curtis sera blessé
à l'Åil par une flèche et manquera de tomber dans le vide (il
sera rattrapé in extremis par Kirk Douglas).
Le film se termine en septembre, au grand soulagement de Richard
Fleischer. "Les Vikings fut très éprouvant
physiquement. Une terrible épreuve. N'importe quel film avec beaucoup
d'eau est difficile à tourner. Et n'importe quel film avec beaucoup de
Kirk Douglas est toujours difficile !"
Philippe Lombard