Venu du théâtre, Patrick
Fierry donne la réplique dès son deuxième film à
Jean-Paul Belmondo dans L'Alpagueur
(1976) de Philippe Labro. Une expérience
inoubliable qui a marqué le début d'une carrière émaillée
de grandes rencontres (Yves Montand, Claude
Berri, Philippe Noiret, Gérard
Jugnot, André Téchiné,
Edward Foxâ¦). Il évoque pour nous ses souvenirs
avec Bébel, sans occulter sa mésentente avec Philippe
Labro.
Philippe Lombard : Comment êtes-vous devenu acteur ?
Patrick Fierry : La première pièce
que j'ai jouée devant un public payant, j'avais treize ans. Je suivais
des cours d'art dramatique depuis un an en banlieue, au "Grenier de Taverny".
J'ai fait des tournées et puis je suis monté à Paris vers
dix-sept ans. Marcel Bluwal et sa femme Danièle Lebrun, dont je connaissais
la nièce, m'ont conseillé d'aller prendre des cours chez Tania
Balachova, où je suis resté un an. Ensuite, je suis entré
au cours Périmony. À l'audition de fin d'année, j'ai présenté
Mercutio dans Roméo et Juliette devant Jean-Louis Barrault
au théâtre d'Orsay. Suit à cette audition, Barrault
m'a engagé dans la compagnie pour reprendre le rôle d'Harold dans
Harold et Maud. Et le même jour, Serge rousseau présent
à l'audition m'a pris dans son agence chez Artmédia. Je suis resté
un an et demi chez Barrault, j'y ai joué avec Laurent Terzieff (Christophe
Colomb), Barrault (Zarathoustra), etc. À l'époque,
mon but c'était de jouer. Je n'imaginais vraiment pas faire du cinéma.
Et la télé, je ne savais même pas que ça existait.
Comment avez-vous été engagé sur "L'Alpagueur" ?
C'est mon agent, Serge Rousseau, qui m'a appelé pour
me dire que Labro voulait me rencontrer. Ça
s'est fait "intra muros". Comme Belmondo
était chez Artmédia, tout se faisait dans la maison. Je crois
me rappeler que j'ai fait une lecture qui a été filmée,
et voilà.
Qu'avez-vous ressenti, alors ?
C'était énorme ! (sourire) Vous ne
pouvez pas imaginer ce que c'était. J'allais tourner avec la plus grosse
star française ! À l'époque (en 1975), les acteurs
entretenaient encore un mystère, une magie, ce qui n'est plus du tout
le cas aujourd'hui. Tout cela a disparu avec l'arrivée de la télé.
Les acteurs étaient des icônes. Le jour où j'ai serré
la main de Belmondo, j'étais fasciné !
Quels étaient vos rapports avec Jean-Paul Belmondo ?
Avec moi, il a été formidable, vraiment !
Comme j'étais tout jeune, il faisait très attention à moi.
Quand il voyait que je ne me sentais pas très bien, il redemandait des
répétitions. Il me donnait des conseils. En même temps,
il s'amusait un peu. Dans la scène de la prison où il me donne
un coup de poing dans le ventre, je n'étais pas rassuré car je
savais qu'il avait fait de la boxe ! (rires) Je n'arrêtais pas
de lui dire " cool ! ". Il a été cool
à toutes les répèt' et à la prise, il m'a allumé !
Il symbolisait vraiment ce qu'était le cinéma de l'époque.
Cette façon d'être sur un plateau, super pro. C'était une
énorme star, son arrivée sur le plateau changeait l'atmosphère.
Son ami Maurice Auzel, un ancien boxeur, était sa doublure lumière.
C'est avec lui que Labro préparait les plans
(sauf ceux avec moi, là Belmondo était
toujours sur le plateau). Un jour, on l'a fait venir en avance et là,
il s'est vraiment énervé. Cela faisait trois quarts d'heure qu'il
était dans sa caravane et qu'il ne tournait pas, il a déboulé
sur le plateau et il a balancé un énorme coup de poing dans un
décor. Philippe Labro dont la tête
n'était pas très loin du point d'impact est devenu tout pâlichon
!
Et sa réputation de joyeux drille ?
Il était en pleine forme, il faisait le con tout
le temps ! Avec son maquilleur, Charly Koubesserian, ils se faisaient des
blagues de potache à n'en plus finir. Leur grand jeu était de
s'empêcher mutuellement d'avoir des aventures. En pleine nuit, Jean-Paul
débarquait dans la chambre de Charly en défonçant la porte
pour lui casser son coup au cas où il aurait été avec quelqu'un.
Ah, ils savaient rire les gaillards ! Mais pour les scènes où
il court après le camion-citerne, il a moins rigolé car il avait
une énorme sciatique. Dès que la caméra s'arrêtait,
il tombait raide. Il fallait lui faire une piqûre avant de refaire une
prise. Il était cassé en deux.
Comment s'est passée votre collaboration
avec Philippe Labro?
Je ne me suis pas entendu avec lui. Je pense que Labro
n'était pas là pour faire un film avec Belmondo
, mais un film pour, sur, haute couture !! pour Belmondo
. La haute couture il est passé à coté, mais pour et sur...
oui, il l'a fait. À chaque fois que je proposais quelque chose, pour
qu'il l'accepte, il ne fallait surtout pas que cela puisse détourner
l'attention de ce que Jean-Paul faisait au même moment, sinon il le refusait.
Dans la scène où Belmondo rattrape
le camion-citerne et qu'on balance le chauffeur par terre, j'ai eu l'idée
de frapper le chauffeur en passant. Un faux coup, bien sûr, mais Labro
me l'a refusé en me disant "Non mais ça va pas ! Qu'est-ce
que tu fais ?" Tout ça parce que, pour Labro,
si Belmondo est dans le coin, et s'il y a une
action, elle passe par lui. À sa décharge, je dirais que c'était
aussi la façon de faire de l'époque, et le poids des acteurs-stars
qui imposait cela. Mais ce n'était vraiment pas un directeur d'acteurs.
Je pense que c'est pour ça aussi que Belmondo
était nerveux par moments, il sentait que ça n'allait pas. Sur
L'Héritier, il était avec Charles
Denner, ils se renvoyaient la balle et il n'avait pas besoin de metteur
en scène, alors que là, oui.
Où se sont déroulées les scènes
de prison ?
On a tourné à Châteauroux dans une des
premières grandes centrales françaises. Il y avait une aile en
construction, c'est là qu'on a tourné, et on mangeait dans l'autre
aile où se trouvaient les détenus. On était habillé
pareil qu'eux, ce qui rendait le service d'ordre hystérique car ils craignaient
que certains en profitent pour s'échapper. Le type qui nous servait,
Belmondo, Koubesserian et moi, s'est penché
et nous a dit : " Alors, on est habillé par le même
tailleur ?" (rires) Quand on courait sur les toits, les prisonniers
étaient en promenade et ils nous balançaient des caillasses et
nous gueulaient dessus. Mais quand ils ont vu qu'il y avait Belmondo
, ils se sont mis à applaudir ! Des popularités comme ça,
il faut le voir pour le croire !
Que pensez-vous du film aujourd'hui ?
Je ne l'ai pas revu depuis vingt ans, mais je trouve que le
rôle n'était pas bien écrit, rien dans ce film d'ailleurs
n'était bien écrit. Il y a des rôles, vous pouvez les tourner
dans tous les sens, si d'une part ils sont mal construits, et si d'autre part
le metteur en scène ne fait rien pour les mettre en valeur... vous êtes
battu. Mais à l'époque, on se foutait du scénario car tout
était basé sur les acteurs, les gens venaient pour eux. Cela ne
m'a pas rapporté grand-chose en terme de carrière. Le film était
basé sur une bonne idée, mais au final ce n'est pas réussi.
Il fallait quelqu'un capable de raconter cette histoire avec et contre Belmondo,
or, Labro était tellement à genoux
devant lui que cela n'a pas été possible. Mais malgré tout,
cela reste un formidable souvenir.
Entretien réalisé par Philippe Lombard