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4ème partie : «L'Homme de Rio»
Philippe Lombard : En 1964, vous êtes l'assistant de Jean-Paul Rappeneau sur LA VIE DE CHATEAU...
Olivier Gérard : J'ai d'abord refusé parce que j'écrivais un scénario, maïs sur les instances de Rappeneau, j'ai changé d'avis. Je suis allé faire des repérages en Normandie. C'était très instructif : j'ai fait tout le littoral du Débarquement, de Honfleur à Cherbourg. Près de Coleville, j'ai trouvé un blockhaus, encore préservé dans un paysage bien dessiné, non loin de la Pointe du Hoc. Il suffisait d'ajouter un fût de canon, pour donner l'impression d'un élément du Mur de l'Atlantique. J'ai déniché une ferme à un kilomètre du blockhaus, donnant sur un verger où veillait une petite chapelle. Tout ce que je cherchais !
Comment s'est passée votre collaboration avec Rappeneau ?
Très bien ! J'avais travaillé sur des films dont il avait été coscénariste (ZAZIE DANS LE METRO et L'HOMME DE RIO), mais c'était son premier film en tant que réalisateur. Il avait été assistant sur des tournages mais il avait surtout travaillé comme scénariste. Il m'a accordé une confiance totale. Face à l'équipe réalisation se présentait celle âtrès pro - des opérateurs, le chef Pierre Lhomme et le cadreur Pierre Goupil. Il y avait comme une antinomie. Parfois, d'âpres discussions s'élevaient. Dans la scène où Marie Marquet entre dans la chambre de l'officier allemand, joué par Carlos Thompson, elle tombait sur un livre érotique et affectait d'être choquée. Jean-Paul voulait faire un gros plan sur la main et le livre, et les opérateurs le jugeaient inutile. Moi, au contraire, je trouvais que du point de vue de la comédie, c'était efficace, et finalement, ce point de vue a triomphé, Jean-Paul l'a fait. Rappeneau m'avait donné des scènes à tourner - avec Goupil toujours un peu réticent, et avec qui il fallait discuter⦠Le film était produit par deux femmes de grande classe, Nicole Stéphane et Monique Montivier, vraiment intelligentes. Je me souviens que Yves Robert devait jouer le rôle du général de la Résistance qu'Henri Garcin rencontre à Londres. Au dernier moment, il nous a fait faux bond. Rappeneau n'était pas content, j'ai dû trouver un remplaçant en catastrophe : à l'écran il s'est avéré pas du tout crédible, ridicule même. J'étais consterné. La projection terminée, les deux productrices se sont écriées : «Eh bien, nous allons refaire la scène !» Jamais, au grand jamais je n'ai entendu un producteur dire ça !
Il y a une excellente distribution.
On a proposé le rôle de Julien à Henri Garcin parce que Belmondo ne voulait pas jouer un personnage de vaincu ; à la fin, il renonce à courtiser Deneuve qui reste avec Noiret... Parmi les scènes que Rappeneau m'avait confiées, figuraient celles avec Pierre Brasseur. C'était un homme très sympathique et respectueux. En tant qu'assistant, j'ai connu bon nombre d'acteurs indifférents à mon statut. Lui, au contraire me demandait ce que je comptais faire ensuite, si je voulais réaliser des films... à côté de ça, son penchant pour la bouteille me plongeait dans les affres ! Dans une scène près du blockhaus allemand, où il devait courir après sa fille, il errait sur la pelouse en maugréant de sa voix superbe et caverneuse «Ah, ces poètes de la pellicule !...» J'étais terrorisé. (rires) Jean-Paul m'avait missionné pour une autre scène où il devait alimenter en fourrage un grand feu pour avertir les parachutistes. Brasseur mettait une telle conviction, un tel cÅur à l'ouvrage (sans doute aidé par un petit remontant) qu'il devenait écarlate et que je me suis demandé s'il n'allait pas me faire un arrêt cardiaque ! «C'est bien, Pierre c'est bien !» me suis exclamé. (rires) Avec Catherine Deneuve, c'était une autre histoire. Elle arrivait toujours en retard. Toujours. Un jour, dans le bureau de production je lui dit : «Demain, Catherine, il faut absolument que tu sois prête à 9 heures. Tu m'as compris ?» «⦠Mais demain matin j'ai le coiffeur et puis mes cheveux â¦Â» commence-t-elle à plaider de sa voix de fée enjôleuse. Je hausse le ton : «Demain, Catherine, tu es prête à 9 heures, un point c'est tout !» Torrent de larmes⦠(rires) Juranville, le directeur de production, arrive et, me faisant les gros yeux, gronde : «Comment, Olivier, vous avez fait pleurer Catherine ?» (rires) Le drame fait tache d'huile dans l'équipe, «Olivier a fait pleurer Catherine». Ãa dure 24 heures. Le lendemain, on tournait à la grille du château, le régisseur me dit à l'oreille : «Catherine aimerait que tu lui dises bonjour.» Je me retourne et aperçois Catherine posée comme une ravissante déesse sur le perron du château à deux cents mètres de moi. J'y vais, et lui dis «Bonjour, Catherine, ça va bien ?» Elle répond : «Bonjour, Olivier, très bien.» C'était fini. (rires). Plus tard, je devais la diriger pour la séance de photos qu'Henri Garcin était censé faire d'elle à son insu. Je lui disais «Oh, regarde, un petit lapin !» «Y'a pas de petit lapin !», ronchonnait-elle (rires) Mais après, elle brandissait les photos en me disant que c'était les meilleures qu'on avait faites d'elle sur le tournage. Elles seront utilisées pour le générique de début.
Vous retrouvez Philippe Noiret APRES ZAZIE DANS LE METRO...
Il était toujours aussi charmant et adorable, même si je l'ai brutalisé au début. C'était les premiers plans du film, il est dans le château, il voit s'écrouler les plâtres et il attaque la scène d'un ton â disons «installé». Crûment, après le «coupez !», je dis à haute voix, ce qui était indécent pour un assistant : «Mais c'est beaucoup trop lent !» (rires) Ãa a traumatisé l'acteur et le metteur en scène, mais ça a été salutaire car ils se sont rendus compte qu'il fallait imprimer un autre rythme au film. J'allais souvent voir ma charmante Marie Marquet avec laquelle j'étais très copain, dans les soupentes du château où elle avait installé sa loge, «son PC», équipé d'un mini ventilo en plastique qui me fascinait. à la fin du film, elle m'a donné un énorme livre de poèmes d'elle que j'ai toujours. Quand j'avais tourné la scène de l'arrivée des Allemands devant le château, avec voitures militaires, elle m'avait observé, et à la fin m'avait soufflé de sa voix de tragédienne : «⦠tu es d'une violence !!⦠mais tu es un Clouzot !!» Par contre, quand j'ai voulu faire une nouvelle prise de la scène que j'ai tournée avec elle et où, accompagnée de son bourricot, elle regarde ravie les parachutistes tomber du ciel, elle m'a coupé d'un ton définitif : «C'est très bien, mon chou ! Tu as montré que tu dirigeais très bien les acteurs, maintenant, ça suffit !»
Vous êtes ensuite l'assistant de Jacques Deray/PER] sur L'HOMME DE MARRAKECH.
Oui, c'était d'après un roman de la Série Noire. Le film devait se tourner au Maroc mais les producteurs n'ont pas eu les autorisations. Ils ont alors suggéré de filmer en Espagne du sud. Je suis donc parti à Almeria avec Jean Charvein, le cadreur, avec j'avais déjà travaillé dans ZAZIE, faire les repérages. Nous avions besoin pour le film d'un désert, un vrai désert, et on nous avait ressassé à Paris que David Lean avait tourné là , près d'Almeria, une partie de LAWRENCE D'ARABIE. On a quadrillé la région en voiture, le paysage était sublime, ces épaules de terre ocre gigantesques piquetées de petits villages blancs, mais de désert : point ! Dès qu'on apercevait un pâtre errant avec ses chèvres, on lui tombait dessus : «El senor sabe donde esta el desierto ?»⦠«No, no, no sé !» (rires) Et un jour, dans un bistrot de pêcheurs, où nous avions échoué désespérés, le patron s'exclame : «Mais le désert, il est là tout près!â¦Â». On se rue là -bas : il s'agissait tout bonnement d'une dune de sable d'un kilomètre de long, pas plus. C'est là que David Lean avait tourné la scène du chemin de fer de LAWRENCE D'ARABIE. De dépit, on s'est photographié devant Jean et moi, à l'intention de Deray, avec une pancarte «Voilà le désert !» (rires) Finalement, on n'a jamais tourné là ...
Comment s'est passé le tournage, ensuite ?
Deray/PER] n'était jamais satisfait de son travail et le scénario lui posait problème. à Almeria, il a fait venir successivement en consultation deux metteurs-en-scène, qui avaient l'habitude de travailler comme «script-doctors» : Claude Sautet et José Giovanni. On a tourné le film avec cette d'impression d'incertitude, le financement du film était bancal. Mais il y avait Claudine Auger, qui était délicieuse (elle nouera sur le tournage avec Deray une idylle qui prendra un tour plus décisif par la suite), et aussi George Hamilton, qui avait été le partenaire de Brigitte Bardot et Jeanne Moreau dans VIVA MARIA ! de Louis Malle. à l'époque, il était fiancé à la fille du président Johnson, et il partait parfois «en permission» pour aller la rejoindre. Il était très simple, très gentil, il me disait «Olivier, viens, je vais te couper les cheveux !» (rires) à un certain moment, on s'est retrouvé à court de «munitions», et les loueurs de matériel électrique, exaspérés de ne pas être payés, nous ont envoyé les gardias civiles. On s'est enfui en catastrophe, pendant qu'ils saisissaient le matériel ! (rires) On a été obligé de revenir à Paris, et puis les producteurs ont échafaudé une nouvelle combine financière et on a repris le tournage, cette fois au Portugal. La séquence du meurtre d'Auger[/PER et d'Hamilton devait se passer dans une gare, mais, sous le régime de Franco il n'était pas question de le faire à Madrid. Alors, nous sommes allés la réaliser à Lisbonne. Puis nous sommes revenus en Espagne. Dans la sierra au-dessus de Grenade, nous avons tourné une scène où les héros en cavale jettent leur arme dans un lac â arme prêtée par l'armée espagnole, qui ne pouvait participer à cette scène que sous surveillance étroite de soldats, et être récupérée par des hommes grenouilles. On tourne donc la scène, la mitraillette est engloutie dans l'eau trouble, les hommes grenouilles plongent pour la récupérer. Ils grenouillent â c'est le cas de le dire⦠Je vois très bien où l'arme est tombée. Je bous : au bout de deux minutes, je n'y tiens plus : je me déshabille, j'entre dans la flotte et, honte pour les bidasses franquistes, je ramasse la mitrailleuse sous les applaudissements de l'équipe !
6ème partie â Orson Welles et moi >>>
Entretien réalisé par Philippe Lombard